Le Bon Samaritain - Vincent van Gogh |
Luc 10
25 Et voici qu'un légiste se leva et lui dit, pour
le tenter : «Maître, que dois-je faire pour hériter de la vie éternelle ? »
26 Jésus lui dit: «Dans la Loi qu'a-t-il été écrit ?
Comment l’accomplis-tu?»
27 Il lui répondit: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu
de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et
ton prochain comme toi-même.»
28 Jésus lui dit: «Tu as bien répondu. Fais cela et
tu vivras.»
29 Mais lui, voulant se justifier lui-même, dit à
Jésus: «Et qui est mon prochain?»
30 Jésus reprit: «Un homme descendait de Jérusalem à
Jéricho, il tomba sur des bandits qui, l'ayant dépouillé et roué de coups, s'en
allèrent, le laissant à moitié mort.
31 Par chance, un prêtre descendait par ce chemin;
il vit l'homme mais passa à bonne distance.
32 De la même manière, un lévite arriva sur les
lieux ; il vit l'homme mais passa à bonne distance.
33 Or, un Samaritain qui était en voyage arriva près
de l'homme: il le vit et fut profondément ému.
34 Il s'approcha, banda ses plaies en y versant de
l'huile et du vin, le chargea sur sa propre monture, le conduisit à une auberge
et prit soin de lui.
35 Le lendemain, tirant deux pièces d'argent, il les
donna à l'aubergiste et lui dit: ‹Prends soin de lui, et si tu dépenses quelque
chose de plus, c'est moi qui te le redonnerai quand je repasserai.›
36 Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain
de l'homme qui était tombé sur les bandits ? »
37 Le légiste répondit: «C'est celui qui a fait miséricorde
envers lui.» Jésus lui dit: «Va et, toi aussi, fais de même.»
Qu'est-il écrit ? Comment lis-tu ? |
Prédication :
Dimanche dernier, nous
lisions déjà quelques versets du 10ème chapitre de l’évangile de
Luc. Nous avons parlé de 72 disciples envoyés par Jésus en mission de par le
vaste monde, avec un double mot d’ordre : prêcher et guérir, ou, pour le
dire légèrement autrement, dire et faire. A leur retour, ces disciples étaient
dans la joie. «Seigneur, disent-ils, même les démons nous sont soumis en ton
nom.» Sur quoi leur joie porte-t-elle ? L’objet de leur joie, c’est plutôt
qu’ils ont fait… Jésus leur répond de se réjouir essentiellement de ce que
leurs noms ont été écrits dans les cieux. Écrits dans les cieux, mais par qui,
et surtout, pour quelles raisons leurs noms auraient-ils été écrits dans les cieux ?
En raison de ce qu’ils ont fait ?
« Que dois-je faire pour hériter de la vie
éternelle ? » C’est, toujours dans le 10ème chapitre de
Luc, la même question qui revient. Non pas dans la bouche d’un disciple, mais
dans la bouche d’un maître de la Loi, qui s’adresse à Jésus. Vous connaissez la
réponse de Jésus : « Va et, toi aussi, fais de même. »,
c'est-à-dire, en trois points, (1) sois reconnaissant envers ceux, même
anonymes, qui, un jour, t’ont secouru, (2) ne choisis jamais ceux que tu dois secourir,
secours-les seulement, et (3) l’action diaconale est prioritaire sur l’action cultuelle…
Si le légiste avait l’idée que sous ces trois
conditions, il hériterait de la vie éternelle, Jésus lui dirait ce qu’il a dit
déjà aux 72 : s’agissant de noms inscrits dans les cieux, ou de vie
éternelle, ou de salut… quel que soit le nom qu’on donne à ça, il ne s’agit
jamais de faire, car il n’y a aucun ‘faire’ personnel qui puisse garantir une
divine rétribution.
Or cela, le maître de la
Loi le sait bien. Et il le dit même très précisément. Il le dit de deux
manières. (1) En appelant Jésus ‘didas-kalos’, en gros maître de bonté. (2) En utilisant le verbe hériter : « Maître
de Vie, que ferai-je pour hériter de
la vie éternelle ? » Et bien, nul n’a jamais choisi ceux dont il hérite ;
en étymologie grecque, hériter ‘klèro-noméo’ signifie le hasard fait loi.
Ce thème est bien plus qu’une passe d’armes entre
un maître de la Loi et un maître
de bonté. Ce thème est familier aux protestants. Il porte même un nom latin
– sola gratia – et a ses champions, Paul,
Augustin, Martin Luther… et son hérésiarque, Pélage, qui affirmait en son temps
(4è-5è siècle), qu’il n’y avait point de péché originel et que la grâce n’était
pas nécessaire. Pour rester fidèle à l’esprit de la grâce qui souffla et
souffle encore, nous devons apprendre et toujours réapprendre que ni la
prédication de la grâce seule, ni la foi en la grâce seule, ni l’anathème jeté sur
Pélage et sur ses nombreux descendants, ne sont des œuvres méritoires…
Et le légiste, maître de
la Loi, le sait parfaitement ; il sait parfaitement, en tant que maître de
la Loi, que c’est la divine grâce qui sauve et qu’elle n’a besoin de personne
pour sauver... C’est parce qu’il le sait parfaitement que la question qu’il
pose à Jésus est plus qu’une simple mise à l’épreuve, qu’elle est une tentation,
la troisième tentation (Luc 4), celle de faire de Dieu l’obligé des hommes à cause des Écritures.
Nous pourrions en rester
là. Mais il se trouve qu’une certaine double question est dans la bouche de
Jésus, posée par lui au maître de la Loi, posée aussi aux autres auditeurs,
posée aux lecteurs. « Dans la Loi, qu’est-il écrit ? Comment
lis-tu ? » Autre traduction : « Dans la Loi, qu’a-t-il été
écrit ? Comment l’accomplis-tu ? » Cette double question, nous
n’allons pas l’éluder, car c’est Jésus lui-même qui la pose. Et dans notre
réponse, nous n’allons pas nier non plus qu’il y ait quelque chose à faire, car
c’est lui-même qui le dit : « Fais cela et tu vivras. »
D’abord la double question.
Dans la Loi, qu’est-il écrit ? Ou qu’a-t-il été écrit ? C’est écrit
aujourd’hui, ça a été écrit, hier, et même avant-hier. Déjà au temps de Jésus,
et même bien longtemps auparavant, déjà au temps de Luc, il y a des textes
canoniques, sacrés, inamovibles. Très bien, canoniques, sacrés, inamovibles…
pour qui ? Pour les Juifs ? Le prêtre et le lévite de la parabole
sont des Juifs. Et pour les Samaritains, pour le Samaritain de la parabole, y
a-t-il aussi un texte canonique, sacré et inamovible ? C’est que les
Samaritains adorent aussi le dieu IHVH, ils lui rendent un culte sacrificiel –
sur le mont Garizim – et ils sont lecteurs de leur texte canonique, sacrée,
inamovible… Les Samaritains ont cinq livres, Genèse, Exode, Lévitique, Nombres,
Deutéronome. On appelle ces cinq livres le Pentateuque samaritain. Des
différences avec le texte des Juif ? Une différence, assez notable :
les dix commandements du texte samaritain comportent une mention particulière
sur le lieu du culte : mont Garizim. Mais pour tout le reste… Autrement
dit, le prêtre et le lévite d’un côté, et le Samaritain, de l’autre côté, dans
la parabole, sont lecteurs du même texte !
Qu’est-il donc écrit, qu’a-t-il été écrit, jadis
et pour toujours ? Pour tous les trois, la même chose ! Comment
ont-ils lu, qu’ont-ils fait ? Inutile de le redire. Et surtout n’avançons
pas qu’en raison de son acte, le Samaritain connaîtra dans les cieux un sort
meilleur que celui des deux autres. Repérons plutôt que ces deux hommes qui
redescendent de Jérusalem – après leur temps de service au Temple – ont une foi
qui est toute de répétition rituelle, que leur compréhension des Écritures ne
laisse subsister aucun espace d’improvisation, ni aucune initiative devant
l’urgence d’une situation, devant l’imprévu, devant un drame ; ils ne
peuvent pas s’approcher du blessé, ils ne peuvent pas devenir le prochain de
cet homme. Quant au Samaritain, lecteur du même texte, il dispose d’un espace
de compréhension des Écritures suffisamment ouvert pour accomplir quelque
chose, au présent, dans le présent d’une situation particulière ; il
accomplit une action appropriée, anonyme, conséquente, et sans mesure. Le
Samaritain sauve une vie, il rend un être humain à la vie. C’est une bonne
action, au sens biblique, dans le sens où « Dieu vit que cela était
bon », cadeau de la vie, de la part de la vie, et pour la vie. C’est
« choisis la vie afin que tu vives… » Juifs et Samaritains lisent ici
exactement le même texte, et c’est le même texte que nous lisons nous aussi…
Fais cela et tu vivras, commandement et promesse
de Jésus. Tu vivras, en plénitude de vie et donc sans te préoccuper de
l’inscription de ton nom dans les cieux, ni d’une rétribution post mortem. La
vie en plénitude se suffit à elle-même.
Revenons, une dernière fois, à cette inépuisable
parabole. Le prêtre et le lévite reviennent du Temple et rentrent chez
eux : ils se déplacent en somme entre deux espaces de propriété, entre
chez soi et chez soi. Le Samaritain est en voyage, plus qu’en voyage, car il
est prêt à une action bonne, il est en pèlerinage, prêt à la rencontre d’un
homme, à la rencontre de Dieu. Non pas cette fois-là, mais chaque fois.
Pèlerin
bon courage
Ton chant
brave l’orage
Mon Dieu
plus près de Toi
Plus près
de Toi
Amen