dimanche 2 décembre 2018

Le temps de la fin et du commencement (Luc 21,25-36) Premier dimanche de l'Avent

 Luc 21

25 «Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles, et sur la terre les nations seront dans l'impasse, épouvantées par le fracas de la mer et son agitation,
26 tandis que les hommes défailleront de frayeur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde; car les puissances des cieux seront ébranlées.
27 Alors, ils verront le Fils de l'homme venir entouré d'une nuée dans la plénitude de la puissance et de la gloire.
28 «Quand ces événements commenceront à se produire, redressez-vous et relevez la tête, car votre délivrance s’est approchée.»
29 Et il leur dit une parabole : «Voyez le figuier et tous les arbres:
30 dès qu'ils bourgeonnent vous savez de vous-mêmes, à les voir, que déjà l'été est proche.
31 De même, vous aussi, quand vous verrez cela arriver, sachez que le Règne de Dieu est proche.
32 En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout n'arrive.
33 Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas.
34 «Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que vos cœurs ne s'alourdissent dans l'ivresse, les beuveries et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l'improviste,
35 comme un filet; car il s'abattra sur tous ceux qui se trouvent sur la face de la terre entière.
36 Mais restez éveillés dans une prière de tous les instants pour avoir la force d'échapper à tout ça qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l'homme.»
Prédication
            Premier dimanche de l’Avent 2018. Luc, chapitre 21. Dans le long discours que Jésus donne aux environs du Temple, il parle de persécutions contre ceux qui se réclameront de lui, d’épidémies, de catastrophes naturelles, dont des vagues gigantesques, il parle de guerres, de réduction en esclavage des vaincus, d’impostures religieuses, de trahisons dans les familles, de destructions de villes… il ne manque rien, ou presque rien, à la liste des catastrophes possibles. Notre époque trouverait à y ajouter des horreurs nucléaires, militaires ou civiles, les périls industriels et le péril climatique… Finalement aujourd’hui comme hier, avec toutes ces horreurs mises bout à bout, on vous prédit l’imminence de la fin des temps et du retour en gloire de Jésus. L’ancien testament en son temps prédisait et prédit toujours toutes sortes de catastrophes possibles et finalement le retour du peuple dispersé, plus la venue en gloire et le règne d’un descendant de David à Jérusalem, ville devenue centre du monde.  Mais l’ancien testament est moins audacieux que le nouveau sur la question de l’imminence. 
            Ce sont les écrits intertestamentaires qui commencent à imaginer une fin toute proche ; jugez plutôt : « Que soit donc en tous temps devant vos yeux ce qui a été prédit (…) Le Très-Haut se montre se montre patient avec nous ici : il nous a fait connaître ce qui doit être et il ne nous a pas caché ce qui doit arriver à la fin. Avant donc que le jugement ne réclame ce qui lui appartient, et la vérité ce qui lui est dû, préparons notre âme à prendre et non à être pris, à espérer et non à être confondu, à reposer avec nos pères, et non à être suppliciés avec nos ennemis. Car la jeunesse du monde est passée et la vigueur de la création est déjà à son terme ; l’avènement des temps est bien proche et ils vont passer. La cruche est proche du puits et le navire du port (…) etc. » (Livre de l’apocalypse de Baruch, fils de Néria, II Baruch 85,8-10). Nous parcourons avec ces     différents livres à peu près quatre siècles d’activité littéraire (IIIè siècle avant JC – Ier siècle après JC), mais tous ces textes apocalyptiques ont à peu près la même structure. Excepté certaines prudentes prophéties de l’ancien testament, le lecteur se dit que l’imminence de ces événements et de la fin commence à avoir beaucoup duré…

            Pour ma part, lorsque j’étais un teenager, j’ai fréquenté des prédicateurs ardents selon l’avis desquels l’imminence de la fin des temps était vraiment très imminente, au point qu’ils affirmaient qu’il était certain qu’ils verraient tout cela arriver de leur vivant. Ils nous faisaient chanter, et nous chantions, Jésus revient, Alleluia. Seras-tu prêt quand il viendra. Si tu es prêt il te prendra. Et avec lui tu règneras. Et à ses pieds tu te tiendras. En entonnant Alleluia, Alleluia, Alleluia, etc. Ils donnaient parfois des sermons et des enseignements inquiétants, qui terrifiaient et convainquaient certaines personnes. Une quarantaine d’années plus tard, ils ont disparu, et nous voici, la fin des temps est toujours imminente, nous pouvons chanter le même chant,  et entendre et lire les mêmes sermons et les mêmes enseignements, tout est en ligne, c’est seulement ça qui a changé ; avec la mise en ligne et l’absence de contradicteurs qui est son corollaire, la violence de ces propos s’est considérablement accrue.
            Ne nous moquons pas. Observons que des textes apocalyptiques n’ont jamais cessé d’être écrits – la Bible en est truffée, nous l’avons évoqué, et certains écrits bien plus vieux que la Bible, composés au 4ème millénaire avant Jésus Christ, comportent déjà de belles pages apocalyptiques… Gageons que dès cette époque, et continuellement depuis, des commentateurs et des prédicateurs se sont levés pour prêcher la fin des temps, et la fin des temps n’est jamais arrivée. 
Toulouse, AZF
            La question « la fin des temps, c’est quand ? » n’a donc que très peu d’intérêt. Et nous allons la laisser un moment de côté. Nous nous demandons plutôt, la fin des temps, c’est quoi ? Et avant de répondre nous posons encore une autre question : le temps, c’est quoi ?
Le temps, c’est quoi ? Il est difficile de répondre, parce que quoi que nous fassions, le temps passe et nous n’avons pas moyen de le saisir et de l’arrêter. Par contre, nous pouvons le mesurer, le rythmer, le construire… Les fêtes agraires, les fêtes de commémoration, les fêtes des lunaisons, puis, plus tard, le rythme des six-jours-plus-un ont rythmé et construit le temps de ces cananéens réformés qu’étaient les hébreux ; les rendez-vous intertribaux sur les hauts-lieux de culte et de justice ont aussi construit le temps ; et lorsque le culte a été centralisé par la volonté du roi Josias, le rythme des trois pèlerinages annuels, plus les sacrifices liés aux grands événements d’une vie, a construit le temps, et construit aussi la présence de Dieu dans le temps. Il faut prendre très au sérieux cette construction du temps ; d’ailleurs il y a eu des schismes, des ruptures définitives, entre diverses composantes du judaïsme, seulement pour des raisons de respect de tel ou tel calendrier… Certains on fait sécession, ont renié la tradition du temple et s’en sont tenus à leur seul calendrier ! C’est peut-être cela qui a séparé Jérusalem de Qumran.
Voilà donc ce qu’est le temps. Et voilà aussi ce que sera la fin des temps. Ce sera la destruction des lieux de culte, l’exil, l’impossibilité de continuer à célébrer, et, corollaire de la fin des temps, l’absence de Dieu.
Le prophète Ezéchiel en a merveilleusement parlé : la divine présence a quitté le temple et s’en est allée – c’était au moment de la destruction du premier temple. La divine présence s’en est allée vers l’est. Pourquoi vers l’est ? Parce que c’est là bas que se trouvaient les exilés. Ce qui signifie que la fin des temps n’était pas la fin de tout. Et qu’après la fin des temps il s’agissait de continuer à vivre, et de reconstruire le temps en réinventant la vie.
Reprenons : la fin des temps, c’est quoi ? C’est la destruction des points de repère qui permettent de construire et de régler le temps. Ces points de repère peuvent être des points de repère familiaux, ils peuvent aussi être des points de repère religieux. Ils peuvent être détruits, lorsqu’un bâtiment est détruit, lorsque quelqu’un meurt… Et que fait-on alors ? Disparaît-on ? Non, la fin des temps est arrivée, et on se retrouve là, en plein chaos.
Que va-t-on faire ? Notre texte nous présente une alternative. Soit le cœur s’alourdit… soit l’on veille. Peut-être le cœur s’alourdit-il, d’abord et que, plus tard, on se prendra à veiller, a guetter, à repérer, à saluer un petit signe, un presque rien qui devient discrète source de joie. On se surprendra peut-être à rouvrir la Bible, à prier, à retourner au temple… Et le temps, lentement, se reconstruit. Il se reconstruit, autrement qu’il n’était. Et la présence de Dieu, petit à petit, redevient perceptible.

Ainsi, lorsque le second temple a été détruit, lorsque Jérusalem a été saccagée, en l’an 70, cela a été la fin des temps. Le culte qui était là rendu à Dieu a cessé, pour toujours. Et quelque chose s’est passé. Le temple n’était plus, mais demeuraient le Livre et les sept jours de la semaine, le Livre qu’on pouvait transporter, recopier, lire et relire, commenter, mettre en œuvre pour inventer un nouveau temps, une nouvelle vie, une religion sans temple, pour laquelle le cœur de l’homme était la demeure de Dieu et la Torah la trace de sa parole. Cette transformation avait commencé bien avant la destruction du temple. Des synagogues existaient dans tout le monde méditerranéen, le judaïsme de Babylonie était extrêmement florissant... Alors ? La fin était-elle la fin, ou la fin était-elle le commencement ?

Retour à notre question de départ : la fin des temps, c’est quoi ? Au point où nous sommes arrivés, nous pouvons retourner cette question  comme un gant, et nous lui donnons une réponse : la fin des temps, c’est le commencement du commencement des temps nouveaux, c’est peut-être même le commencement des temps nouveaux, mais on ne peut pas trop se le dire, parce que souvent la souffrance est trop forte, on n’ose qu’à peine le murmurer, on n’y croit pas, pas trop, ou si peu... Le chaos est encore trop présent.
Pourtant la promesse est là qui ne failli pas : « … mes paroles ne passeront pas. » Et que disent ces paroles ? Depuis toujours et à la face du chaos, de ce chaos qui est toujours le chaos des origines, le même Dieu prononce les mêmes paroles : « Qu’il y ait de la lumière ! » Et la  lumière apparaît. Et l’espérance renaît.
Qu’il en soit ainsi
Amen