dimanche 11 novembre 2018

Le véritable trésor du temple (Marc 12,38-13,2)



38 Dans son enseignement, il disait: «Prenez garde aux scribes qui tiennent à déambuler en grandes robes, à être salués sur les places publiques,
39 à occuper les premiers sièges dans les synagogues et les premières places dans les dîners.
40 Eux qui dévorent les biens des veuves et affectent de prier longuement, ils subiront la plus surabondante condamnation.»

41 Assis en face du tronc, Jésus regardait comment la foule mettait de l'argent dans le tronc. De nombreux riches mettaient beaucoup.
42 Vint une veuve pauvre qui mit deux petites pièces, quelques centimes.
43 Appelant ses disciples, Jésus leur dit: «En vérité, je vous le déclare, cette veuve pauvre a mis plus que tous ceux qui mettent dans le tronc.
44 Car tous ont mis en prenant sur leur surabondance; mais elle, elle a pris sur sa misère pour mettre tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vivre.»

1 Comme Jésus s'en allait du temple, un de ses disciples lui dit: «Maître, regarde: quelles pierres, quelles constructions!»
2 Jésus lui dit: «Tu vois ces grandes constructions! Il ne restera pas pierre sur pierre; tout sera détruit.»



Prédication :
            Je ne sais pas comment se finissent les guerres. Par des traités de paix, ou par des armistices comme cela à été le cas il y a aujourd’hui 100 ans dans la clairière de Rethondes en forêt de Compiègne. Des hommes de chaque partie, investis de pouvoir spéciaux par leurs gouvernements, ou par leurs princes, signent un même document dans lequel il est stipulé que  c’est fini, qu’on n’utilisera plus désormais la force des armes pour imposer sa volonté à l’adversaire. Le 11 novembre 1918, à 5h15 du matin, l’armistice était signé. La guerre était finie.
            Cette fin est une fin cérémonielle, symbolique… nécessaire. Mais une autre fin est tout aussi nécessaire : la fin des hostilités sur le front lui-même. Les ordres de cesser le feu partent des états majors, arrivent aux postes de commandement, et parviennent à la fin, tout à la fin, aux troupes. Alors quelque part la poudre parle pour la dernière fois. Et on peut enfin se présenter à découvert sans risquer d’être pris pour cible.

            Nous ne savons évidemment pas où a été tiré le dernier coup de feu de la Grande Guerre. Mais comme il existe un monument du soldat inconnu, on pourrait avoir quelque part symboliquement un monument du dernier coup de feu. Ce monument parlerait ainsi du moment où les hommes cessent de compter sur la violence armée pour parvenir à leurs fins. Il est aisé de dire ce qui cesse lorsque la guerre est finie. Mais peut-être est-il moins aisé de dire ce qui commence. La paix ? Il ne suffit pas toujours que les armes se taisent pour que la paix soit établie. Ici  commence notre méditation de l’évangile de Marc.
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            Les scribes d’une part et les pauvres d’autre part, l’ostentation des uns et la discrétion des autres, les dons qui sont vraiment des dons et les dons qui ne sont pas des dons, la grandeur, la beauté des édifices religieux et les tragédies de l’histoire… il y a dans le texte que nous venons de lire toutes les platitudes possibles qu’on peut rencontrer sur les sujets de culte, d’offrande et de foi. Toutes les évidences et toutes les banalités possibles, en si peu de mots, c’est une performance qui devrait nous suggérer d’être prudents, prudents dans notre choix de texte, prudents dans notre méditation et prudents dans nos commentaires.

Nous allons donc commencer par une première prudence, une prudence qui nous a fait choisir d’élargir un peu le texte qui nous était proposé. Deux versets de plus, Marc 13,1-2. Il faut toujours se rappeler que le découpage du texte biblique en chapitres et en versets, tel que nous le connaissons, n’est qu’une commodité. Rien ne dit que ce qui est en jeu avec cette veuve pauvre finit en Marc 12,44. En fait, quelqu’un a choisi, au 13è. siècle de notre ère, que le chapitre 12 aurait telle fin, et le chapitre 13 tel début. Vous n’êtes jamais obligé de vous en tenir à cela. Sentez-vous libres, toujours, de lire quelques versets de plus.
Deux versets de plus : Comme Jésus s’en allait du temple, un de ses disciples lui dit : « Maître, regarde : quelles pierres, quelles constructions ! » Jésus lui dit : « Tu vois ces grandes constructions ! Il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée. »
Cela a-t-il à voir avec l’offrande de la veuve pauvre ? Nous allons y venir. Cela a à voir en tout cas avec la forme du culte, avec la forme de ce culte à Dieu qui fut célébré à Jérusalem jusqu’à l’été de l’an 70, lorsque le temple fut détruit ; le culte cessa, cessèrent avec le culte les offrandes, celles des riches, et celles des pauvres. Mais Dieu, que devint-il  dans tout ce chaos ? Le temple de Jérusalem était le seul lieu où on lui rendait un culte… Que deviennent les dieux lorsque leurs temples sont saccagés ? Les historiens des religions ont peur de se poser cette question ; une récente étude que j’ai eu le bonheur de lire s’ouvrait sur ce constat : les historiens des religions s’intéressent très volontiers à l’apparition de nouveaux cultes, mais ne se penchent jamais sur les cultes qui disparaissent… Pourquoi ? 

Revenons à la prédiction que fait Jésus – alias Marc – « il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée ». Qu’en est-il et qu’en serra-t-il de l’offrande de la veuve pauvre, de l’offrande des riches, et du temple ?
Pour avoir un beau temple, il faut de riches donateurs, c’est entendu. Et il semble que le temple de Jérusalem n’en manquait pas. Notez bien d’ailleurs que Jésus ne fait aucun reproche aux riches d’être riches. Il constate seulement – mais comment le sait-il ? – que les riches donnent de leur superflu – entendons bien que ces riches donateurs ne se privent de rien d’important, ne mettent pas leur statut ni leur survie en danger. S’agissant par contre de la veuve pauvre, Jésus – mais comment le sait-il – déclare qu’elle a pris sur sa misère, entendons bien qu’une fois ce don fait, il ne lui reste aucun moyen de subsistance. Il ne lui reste rien d’autre que sa misérable vie. Si elle revient au temple, elle n’aura rien à mettre dans le tronc.
Les riches reviendront donner encore… Pour avoir un beau temple, il faut de riches donateurs. Nous n’avons rien contre les riches donateurs, et nous ne faisons pas de la misère noire un état béatifique. Et puis nous ne savons pas les uns des autres si  nous donnons comme les donateurs riches ou comme la veuve pauvre ;  nous n’avons pas à le savoir. Dieu sait qui nous sommes.
Il y a pourtant une question que nous pouvons nous poser en lisant ce texte élargi : quelle était la véritable richesse du temple de Jérusalem ? L’idée que nous avons ici est qu’une fois le temple détruit si quelque chose subsiste, c’est là qu’est la véritable richesse du temple. Or, que subsista-t-il après la destruction du temple, que subsista-t-il qui existait déjà avant ?
Ni tronc, ni belles pierres, ni sacrifices, ni ornements… Les historiens nous disent que les partis les plus pieux, ceux qui vivaient du temple, disparurent avec le temple. Ils nous décrivent une Jérusalem en ruine dans laquelle circulent quelques ombres, celles et ceux qui n’ont pas eu les moyens de partir. Les plus pauvres, sans doute. Alors que subsista-t-il ? Que subsiste-t-il d’une maison de prière lorsque cette maison de prière est détruite ? Il reste… la prière, la prière des plus pauvres. Il reste la foi en IHVH, sous sa forme la plus simple, la plus dépouillée, la plus hasardeuse et, peut-être bien, si elle demeure, la plus croyante. Il reste la prière d’une veuve pauvre, sa prière, sa foi. Et telle est la véritable richesse du temple de Jérusalem.
C’est pour cela qu’il nous semble pouvoir dire que la prière de cette veuve pauvre anticipe la réalité de ce que sera pratiquement la foi en IHVH une fois que tout aura été détruit. Des gens qui n’auront plus rien à donner s’adresseront à un Dieu qui n’aura plus rien à leur offrir.  Ils lui confieront tout, c'est-à-dire leur propre vie – ils n’auront rien d’autre à lui remettre que leur misérable vie.

Mais cela se produit-il seulement lorsque tout s’écroule ? Retour au texte : l’offrande que la veuve pauvre fait de toute sa vie n’a pas lieu après la destruction du temple, mais avant. Et il n’est pas dit non plus dans notre texte qu’il faille absolument se mettre sur la paille. Et encore moins qu’il faille le faire savoir.
Les croyants peuvent donner, et donner toute leur vie à Dieu, à n’importe quel moment de leur existence. Tout lui donner et tout recevoir de lui.
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Cette prédication sur l’offrande de la veuve pauvre pouvait bien s’achever sur « tout lui donner et tout recevoir de lui. »
Mais aussi vrai que notre méditation s’ouvrait sur le centième anniversaire de l’armistice, 11 novembre 1918 – 11 novembre 2018, et que nous pouvons tout recevoir de Dieu, y compris le silence des armes, il y avait à 24 heures près un autre anniversaire, un 80ème anniversaire, l’anniversaire de cette nuit maudite qu’on appelle en allemand Reichskristallnacht.
Tout donner à Dieu et tout recevoir de lui… ce ne peut pas être seulement une phrase pieuse. Cette nuit maudite, prélude à tellement d’horreur, pouvait-on, et pouvons-nous seulement, même 80 ans plus tard, la recevoir de Dieu ?

Nous laissons là la question. Puisse le Tout-Puissant avoir pitié de nous. Amen.