38 Dans son enseignement, il disait: «Prenez garde
aux scribes qui tiennent à déambuler en grandes robes, à être salués sur les
places publiques,
39 à occuper les premiers sièges dans les synagogues
et les premières places dans les dîners.
40 Eux qui dévorent les biens des veuves et
affectent de prier longuement, ils subiront la plus surabondante condamnation.»
41 Assis en face du tronc, Jésus regardait comment
la foule mettait de l'argent dans le tronc. De nombreux riches mettaient
beaucoup.
42 Vint une veuve pauvre qui mit deux petites
pièces, quelques centimes.
43 Appelant ses disciples, Jésus leur dit: «En
vérité, je vous le déclare, cette veuve pauvre a mis plus que tous ceux qui
mettent dans le tronc.
44 Car tous ont mis en prenant sur leur surabondance; mais elle, elle a pris sur
sa misère pour mettre tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour
vivre.»
1 Comme Jésus s'en allait
du temple, un de ses disciples lui dit: «Maître, regarde: quelles pierres,
quelles constructions!»
2 Jésus lui dit: «Tu vois ces grandes
constructions! Il ne restera pas pierre sur pierre; tout sera détruit.»
Prédication :
Je ne sais pas comment se finissent
les guerres. Par des traités de paix, ou par des armistices comme cela à été le
cas il y a aujourd’hui 100 ans dans la clairière de Rethondes en forêt de
Compiègne. Des hommes de chaque partie, investis de pouvoir spéciaux par leurs
gouvernements, ou par leurs princes, signent un même document dans lequel il
est stipulé que c’est fini, qu’on
n’utilisera plus désormais la force des armes pour imposer sa volonté à
l’adversaire. Le 11 novembre 1918, à 5h15 du matin, l’armistice était signé. La
guerre était finie.
Cette fin est une fin cérémonielle,
symbolique… nécessaire. Mais une autre fin est tout aussi nécessaire : la
fin des hostilités sur le front lui-même. Les ordres de cesser le feu partent
des états majors, arrivent aux postes de commandement, et parviennent à la fin,
tout à la fin, aux troupes. Alors quelque part la poudre parle pour la dernière
fois. Et on peut enfin se présenter à découvert sans risquer d’être pris pour
cible.
Nous ne savons évidemment pas où a
été tiré le dernier coup de feu de la Grande Guerre. Mais comme il existe un
monument du soldat inconnu, on pourrait avoir quelque part symboliquement un
monument du dernier coup de feu. Ce monument parlerait ainsi du moment où les
hommes cessent de compter sur la violence armée pour parvenir à leurs fins. Il
est aisé de dire ce qui cesse lorsque la guerre est finie. Mais peut-être
est-il moins aisé de dire ce qui commence. La paix ? Il ne suffit pas
toujours que les armes se taisent pour que la paix soit établie. Ici commence notre méditation de l’évangile de
Marc.
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Les scribes d’une part et les
pauvres d’autre part, l’ostentation des uns et la discrétion des autres, les
dons qui sont vraiment des dons et les dons qui ne sont pas des dons, la grandeur,
la beauté des édifices religieux et les tragédies de l’histoire… il y a dans le
texte que nous venons de lire toutes les platitudes possibles qu’on peut
rencontrer sur les sujets de culte, d’offrande et de foi. Toutes les évidences
et toutes les banalités possibles, en si peu de mots, c’est une performance qui
devrait nous suggérer d’être prudents, prudents dans notre choix de texte,
prudents dans notre méditation et prudents dans nos commentaires.
Nous allons donc commencer par une première prudence, une prudence qui
nous a fait choisir d’élargir un peu le texte qui nous était proposé. Deux
versets de plus, Marc 13,1-2. Il faut toujours se rappeler que le découpage du
texte biblique en chapitres et en versets, tel que nous le connaissons, n’est
qu’une commodité. Rien ne dit que ce qui est en jeu avec cette veuve pauvre
finit en Marc 12,44. En fait, quelqu’un a choisi, au 13è. siècle de notre ère, que
le chapitre 12 aurait telle fin, et le chapitre 13 tel début. Vous n’êtes
jamais obligé de vous en tenir à cela. Sentez-vous libres, toujours, de lire
quelques versets de plus.
Deux versets de plus : Comme Jésus s’en allait du temple, un de
ses disciples lui dit : « Maître, regarde : quelles pierres,
quelles constructions ! » Jésus lui dit : « Tu vois ces
grandes constructions ! Il ne restera pas pierre sur pierre qui ne
soit renversée. »
Cela a-t-il à voir avec l’offrande de la veuve pauvre ? Nous
allons y venir. Cela a à voir en tout cas avec la forme du culte, avec la forme
de ce culte à Dieu qui fut célébré à Jérusalem jusqu’à l’été de l’an 70,
lorsque le temple fut détruit ; le culte cessa, cessèrent avec le culte
les offrandes, celles des riches, et celles des pauvres. Mais Dieu, que
devint-il dans tout ce chaos ? Le temple de Jérusalem était le seul
lieu où on lui rendait un culte… Que deviennent les dieux lorsque leurs temples
sont saccagés ? Les historiens des religions ont peur de se poser cette
question ; une récente étude que j’ai eu le bonheur de lire s’ouvrait sur
ce constat : les historiens des religions s’intéressent très volontiers à
l’apparition de nouveaux cultes, mais ne se penchent jamais sur les cultes qui
disparaissent… Pourquoi ?
Revenons à la prédiction que fait Jésus – alias Marc – « il ne
restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée ». Qu’en est-il et
qu’en serra-t-il de l’offrande de la veuve pauvre, de l’offrande des riches, et
du temple ?
Pour avoir un beau temple, il faut de riches donateurs, c’est entendu. Et
il semble que le temple de Jérusalem n’en manquait pas. Notez bien d’ailleurs
que Jésus ne fait aucun reproche aux riches d’être riches. Il constate
seulement – mais comment le sait-il ? – que les riches donnent de leur
superflu – entendons bien que ces riches donateurs ne se privent de rien d’important,
ne mettent pas leur statut ni leur survie en danger. S’agissant par contre de
la veuve pauvre, Jésus – mais comment le sait-il – déclare qu’elle a pris sur
sa misère, entendons bien qu’une fois ce don fait, il ne lui reste aucun moyen
de subsistance. Il ne lui reste rien d’autre que sa misérable vie. Si elle
revient au temple, elle n’aura rien à mettre dans le tronc.
Les riches reviendront donner encore… Pour avoir un beau temple, il
faut de riches donateurs. Nous n’avons rien contre les riches donateurs, et nous
ne faisons pas de la misère noire un état béatifique. Et puis nous ne savons
pas les uns des autres si nous donnons
comme les donateurs riches ou comme la veuve pauvre ; nous n’avons pas à le savoir. Dieu sait qui
nous sommes.
Il y a pourtant une question que nous pouvons nous poser en lisant ce
texte élargi : quelle était la véritable richesse du temple de
Jérusalem ? L’idée que nous avons ici est qu’une fois le temple détruit si
quelque chose subsiste, c’est là qu’est la véritable richesse du temple. Or,
que subsista-t-il après la destruction du temple, que subsista-t-il qui existait
déjà avant ?
Ni tronc, ni belles pierres, ni sacrifices, ni ornements… Les
historiens nous disent que les partis les plus pieux, ceux qui vivaient du
temple, disparurent avec le temple. Ils nous décrivent une Jérusalem en ruine
dans laquelle circulent quelques ombres, celles et ceux qui n’ont pas eu les
moyens de partir. Les plus pauvres, sans doute. Alors que subsista-t-il ?
Que subsiste-t-il d’une maison de prière lorsque cette maison de prière est détruite ?
Il reste… la prière, la prière des plus pauvres. Il reste la foi en IHVH, sous
sa forme la plus simple, la plus dépouillée, la plus hasardeuse et, peut-être
bien, si elle demeure, la plus croyante. Il reste la prière d’une veuve pauvre,
sa prière, sa foi. Et telle est la véritable richesse du temple de Jérusalem.
C’est pour cela qu’il nous semble pouvoir dire que la prière de cette
veuve pauvre anticipe la réalité de ce que sera pratiquement la foi en IHVH une
fois que tout aura été détruit. Des gens qui n’auront plus rien à donner
s’adresseront à un Dieu qui n’aura plus rien à leur offrir. Ils lui confieront tout, c'est-à-dire leur
propre vie – ils n’auront rien d’autre à lui remettre que leur misérable vie.
Mais cela se produit-il seulement lorsque tout s’écroule ? Retour
au texte : l’offrande que la veuve pauvre fait de toute sa vie n’a pas
lieu après la destruction du temple, mais avant. Et il n’est pas dit non plus
dans notre texte qu’il faille absolument se mettre sur la paille. Et encore
moins qu’il faille le faire savoir.
Les croyants peuvent donner, et donner toute leur vie à Dieu, à
n’importe quel moment de leur existence. Tout lui donner et tout recevoir de
lui.
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Cette prédication sur l’offrande de la veuve pauvre pouvait bien s’achever
sur « tout lui donner et tout recevoir de lui. »
Mais aussi vrai que notre méditation s’ouvrait sur le centième
anniversaire de l’armistice, 11 novembre 1918 – 11 novembre 2018, et que nous
pouvons tout recevoir de Dieu, y compris le silence des armes, il y avait à 24
heures près un autre anniversaire, un 80ème anniversaire,
l’anniversaire de cette nuit maudite qu’on appelle en allemand Reichskristallnacht.
Tout donner à Dieu et tout recevoir de lui… ce ne peut pas être
seulement une phrase pieuse. Cette nuit maudite, prélude à tellement d’horreur,
pouvait-on, et pouvons-nous seulement, même 80 ans plus tard, la recevoir de
Dieu ?
Nous laissons là la question. Puisse le Tout-Puissant avoir pitié de
nous. Amen.