Matthieu 28
16 Quant aux onze disciples, ils se rendirent en
Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.
17 Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais
quelques-uns eurent des doutes.
18 Jésus s'approcha d'eux et leur adressa ces
paroles: «Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre.
19 Allez donc: de toutes les nations faites des
disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,
20 leur
apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous
tous les jours jusqu'à la fin des temps.»
Prédication
« Baptisez-les
au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit et apprenez-leur à garder tout ce
que je vous ai prescrit », c’est, juste avant la promesse finale, le double
commandement sur lequel s’achève le récit de l’évangile de Matthieu. Cet
évangile nous est proposé en ce premier dimanche après Pentecôte, dimanche de
la Trinité.
Il est
tentant, n’est-ce pas, de voir dans cette formule une déclaration Trinitaire :
Dieu est Père, Fils et Saint Esprit. Mais cette formule baptismale n’est pas une déclaration Trinitaire. Celle
formule arrive là, tout à coup, dans l’évangile de Matthieu. On la voit aussi
arriver là, tout à coup, dans La Didachè
– l’enseignement des douze Apôtres. Ces deux textes sont importants à la
fin du premier siècle après Jésus Christ. La formule est donc ancienne. Cela
nous indique probablement que certaines branches du christianisme naissant
baptisaient au nom du Père, d’autres au nom du Fils, d’autres encore au nom du
Saint Esprit, et que quelqu’un a tenté une synthèse. L’Ancien Testament est
familier de ce genre de synthèse, et l’évangile de Matthieu est pétri de
culture de l’Ancien Testament. Donc certains milieux chrétiens ont très tôt
baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ; d’autres milieux
baptisaient au nom du Christ (relisez les Actes). Les débats sur la Trinité ont
eu lieu un bon siècle plus tard, ils ont duré plus d’un siècle (au moins
jusqu’au Concile de Nicée, 325), et la formule baptismale proposée par Matthieu
s’est alors naturellement imposée.
Ceci étant
dit, cette formule baptismale avait certainement une signification en elle-même
bien avant d’être trinitaire, et elle garde certainement une signification – ou
plusieurs – indépendamment de l’état de la doctrine en matière de Trinité.
C’est ma proposition, pour ce
matin, que nous nous mettions en quête d’une signification symbolique possible
de cette formule au nom du Père, du
Fils, et du Saint Esprit, je te baptise. Ce qui fait quatre points – le plan de
cette prédication.
Ayant
écarté l’idée que cette formulation soit théologique – Trinitaire – et ne
tenant pas trop a priori à la proclamation d’une unité originaire de l’Eglise, je
propose plutôt que cette formulation soit anthropologique : elle dit ce
qu’est un être humain, et, si on le veut un être humain qui croit et qui vit
une expérience de vie chrétienne au sein d’une communauté. Ce que nous allons
donc tenter, c’est de construire en quelques minutes une petite anthropologie
de l’être humain croyant. Et cela commence par la naissance d’un petit d’homme
qu’on va baptiser sans aucunement lui demander son avis. On va l’immerger –
baptême religieux ou pas – immersion ou pas – dans la vie, comme il est immergé
dans l’air qu’il respire.
1. Au nom du Père. L’évangile de Matthieu commence par une généalogie
descendante : « Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob… »,
sautons 15 versets, un autre « Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie, de
laquelle est né Jésus, que l'on appelle Christ ». C’est la généalogie des
pères. Une généalogie si longue – 42 générations – qu’on ne va pas hésiter à la
dire perpétuelle.
Baptiser au nom du Père, c’est
baptiser dans la perpétuité du Père, dans la perpétuité du témoignage écrit par
les pères. C’est reconnaître que, sans ses pères, c'est-à-dire sans une
inscription de sa vie et de sa pensée dans la suite infinie des générations, l’être
humain n’est rien. Apprendre cela est la tâche d’une vie. Il faut une vie
entière pour apprendre à n’être qu’un maillon, qu’un bref instant dans le fil
de l’histoire, qu’un soupir dans le chant de la création. Etre baptisé au nom
du Père, c’est donc se laisser inscrire, se laisser instruire, dans la
perpétuité de la foi chrétienne, dans la perpétuité de la vie.
Au nom du Père |
2. Au nom du Fils. Le Fils est celui qui mange et qui boit avec ses
contemporains, sans les discriminer en quelque manière. Le Fils a des
disciples, et des compagnons. Il partage le sort commun de sa génération, une
génération qui cherche à vivre sa piété sous occupation païenne, dans un monde
qui s’est ouvert ; et à cette génération, certains se rendent compte que
si cette piété ne s’ouvre pas, justement, aux païens, au monde, elle n’aura
d’autre perspective que disparaître.
Jésus vit avec les hommes, pour
les hommes, jamais sans les hommes. Il résiste à la tentation de les dominer et
de les asservir. Il ne les regarde pas de haut. Et s’il vient à les affronter,
c’est les yeux dans les yeux, dans un engagement total de sa vie et de sa
personne. Il vient même au monde dans les circonstances les plus humbles qui
soient : une jeune femme est trouvée enceinte du Saint Esprit… Ne pensez
surtout pas à la romance de la naissance de Jésus selon Luc, mais plutôt à une désespérément
simple grossesse.
Jésus commence tout en bas de
l’humanité, et il se lie à tous, construit une messianité singulière dont le
fondement revient à affirmer qu’il n’est rien sans ses contemporains, rien sans
ses frères les humains. Baptiser au nom du Fils, c’est donc inscrire l’être
humain dans l’humble fraternité humaine, sans prétention, sans hiérarchie et
sans discrimination.
Au nom du Fils |
3. Au nom du Saint Esprit. Nous affirmons maintenant – mais maintenant
seulement – que chaque être humain est unique, que si l’on est juste le maillon
d’une lignée infinie, et seulement l’un parmi tous les autres de ses
contemporains, on est aussi quelqu’un. Qu’on soit aussi quelqu’un ne signifie
pas qu’on est surtout et avant tout surtout quelqu’un. Nous ne sommes
individuellement pas des gens très extraordinaires, même si une vie est
distincte de toutes les autres vies.
Dans chaque vie, il y a le très
ordinaire des jours, le très commun, mais aussi, parfois, l’irruption,
l’extraordinaire, la soudaineté. Repensons à cette jeune fille, Marie, qui,
soudain, est trouvée enceinte d’on ne sait qui ; repensons à Joseph qui,
soudain, s’est trouvé confronté à la soudaine grossesse de sa promise ;
repensons à Joseph encore qui, avec une prudence et une lucidité prodigieuse,
se retire en Egypte avec femme et enfant.
Le grand mystère de la
singularité de l’être humain est porté par la soudaineté du Saint Esprit.
Baptiser au nom du Saint Esprit, c’est, d’avance, saluer les moments tout à
fait singuliers qui seront peut-être un jour vécus ; c’est également
apprendre à ne rien faire pour les provoquer ; c’est enfin apprendre à
disposer son cœur et son esprit de manière à pouvoir les accueillir.
Au nom du Saint Esprit |
Résumons maintenant : baptiser au nom du Père, du Fils et du
Saint Esprit, c’est se reconnaître baigné, immergé, dans la perpétuité des
générations, celle de la foi, celle du nom du Père ; c’est aussi se
reconnaître immergé dans la contemporanéité de la fraternité, celle dont le nom
et l’exemple du Fils sont les signes et les modèles ; c’est enfin (à la
fin) se reconnaître immergé dans la soudaineté, la singularité imprévisible de
l’Esprit Saint qui fait que chaque vie est distincte de toutes les autres vies.
Baptiser, nous le savons,
signifie immerger, raison pour laquelle certaines personnes ne baptisent
qu’avec un rituel d’immersion. Ceci dit, les quelques instants d’une cérémonie
pèsent peu par rapport à la durée de la vie. Baptiser signifie également
plonger un récipient dans l’eau pour puiser de l’eau. Dans cette seconde signification,
nous voyons que baptiser est une activité. Et qu’à cette activité il convient
que nous préparions nos enfants, nos amis, ceux qui nous demandent de les
instruire, pour qu’ils puissent apprendre à vivre dans la foi et à vivre de la
foi. Nous voulons juste dire que le baptême n’est pas seulement un geste, mais
qu’il n’est jamais distinct de la catéchèse. Le baptême est ainsi tout un
apprentissage que les baptisés ont à faire, mais que ceux qui baptisent ont
également à faire, plus encore que ceux qu’ils baptisent.
Alors il nous faut comprendre
que, baptisés ou pas, l’exhortation apostolique du Ressuscité s’adresse très
essentiellement à nous. Soyez baptisés au nom du Père, du Fils, et du Saint
Esprit. C’est le beau travail de toute une vie : apprendre à croire,
apprendre à devenir simplement un être humain. Amen