Matthieu 1
1 Livre des origines de
Jésus Christ, fils de David, fils d'Abraham:
2 Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob
engendra Juda et ses frères,
3 Juda engendra Pharès et Zara, de Thamar, Pharès engendra
Esrom, Esrom engendra Aram,
(…)
15 Elioud engendra Eléazar, Eléazar engendra Mathan, Mathan
engendra Jacob,
16 Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie, de laquelle est
né Jésus, que l'on appelle Christ.
17 Le nombre total des générations est donc: quatorze
d'Abraham à David, quatorze de David à la déportation de Babylone, quatorze de
la déportation de Babylone au Christ.
18 Voici quelle fut l'origine de Jésus Christ.
Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph; or, avant qu'ils aient
habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit Saint.
19 Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne
voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement.
20 Il avait formé ce projet, et voici que l'ange du
Seigneur lui apparut en songe et lui dit: «Joseph, fils de David, ne crains pas
de prendre chez toi Marie, ton épouse: ce qui a été engendré en elle vient de
l'Esprit Saint,
21 et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de
Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés.»
22 Tout cela arriva pour que s'accomplisse ce que le
Seigneur avait dit par le prophète:
23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel
on donnera le nom d'Emmanuel, ce qui se traduit: «Dieu avec nous».
24 À son réveil, Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui
avait prescrit: il prit chez lui son épouse,
25 mais il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté
un fils, auquel il donna le nom de Jésus.
Prédication :
Parler des justes, et de la divine
providence, c’est ce que je souhaite faire en méditant ce texte. Mais, pour
commencer, je vous demande un certain effort : oublier ce que nous savons
de cette femme, de cet homme, et de cet enfant à naître, de l’ange et de Dieu
qui est derrière tout ça… Une fois
cet effort accompli, de quoi parle ce texte ?
Une jeune femme, promise à un homme, est trouvée enceinte, avant
d'avoir officiellement été donnée à cet homme, et cela se passe dans un village
palestinien il y a deux mille ans. L’homme, bien qu’en droit de rompre
l’engagement, bien qu’en droit aussi de se plaindre et d’exiger une sanction
contre cette jeune femme, sanction qui pourrait être la lapidation, la prend
chez lui et, au terme de la grossesse, donne un prénom à l’enfant, c'est-à-dire
le reconnait comme sien. La jeune femme s’appelle Marie, et elle a eu une
chance incroyable ; l’homme s’appelle Joseph.
De l’homme
qui agit ainsi, de ce Joseph, il est dit qu’il était juste. Qu’est-ce qu’un
juste ?
Le texte nous aide. Un juste est
quelqu’un qui a le droit pour lui ; et qui peut se servir du droit pour
condamner autrui ; mais qui choisit pourtant de ne pas appliquer la Loi,
et de sauver autrui, sans aucune considération de ce que sa décision peut lui
coûter.
C’est exactement ce qu’ont fait
ces gens qui, au mépris de la loi, et au mépris de leur propre vie, ont sauvé
des Juifs en les soustrayant à la barbarie nazie ; ces gens sont des
justes, et les noms de ceux qui sont connus sont conservés et honorés au mémorial
de Yad Vashem.
Cela, c’est ce qui se voit. Mais
en lisant le récit que nous propose Matthieu, nous pouvons envisager comment se
construit cette « justice » de Joseph…
Tout
d’abord, il y a une situation, et nous allons dire que c’est
en situation seulement que cette « justice » se déploie.
Ayant
connaissance de la situation (Marie enceinte), le juste a aussi connaissance de
la Loi et de ce que la Loi exige. L’accusation publique mènerait la jeune femme
à la mort… La rupture discrète ménage la vie de jeune femme – ce qui est
indiscutablement un moindre mal... Combien de temps faut-il à Joseph pour en
arriver là ? C’est en tout cas dans le fil de cette réflexion que Joseph
rêve.
Nous
retenons que le juste délibère, et que le juste rêve. Ne nous y trompons pas et
n’allons pas trop vite dire que c’est un ange qui vient… même si c’est écrit.
De quoi Joseph rêve-t-il ? Il rêve endormi, comme nous tous, de ce dont il
rêve aussi éveillé, et, dans son rêve, se retrouve ce qu’il a lu et entendu.
Joseph, qui connaît la Loi connaît aussi les Prophètes et, parmi les prophètes,
Esaïe : « voici que la jeune
femme conçoit et enfante un fils – et elle lui donne le nom d'Im-anou-El (Dieu
avec nous) ; de crème et de miel il se nourrit, sachant rejeter le mal et
choisir le bien ».
Le rêve a ceci de divin qu’il permet parfois l’association libre
d’idées qui sans lui n’auraient rien à faire ensemble. Qui est cette jeune
femme de la prophétie ? Et qui est cette jeune femme que Joseph se
prépare à défendre ? Le rêve en fait une seule et même personne et suggère
au rêveur qu’il y a peut-être mieux à faire que rompre secrètement… Pensons-y…
si Joseph rompt secrètement, lui sera indemne en cette affaire, certes, la
jeune fille ne sera pas accusée publiquement, mais n’y a-t-il pas une autre
voie ? Le rêve suggère une autre voie. Le rêve est un « … et
si… ? » : et si Marie et la jeune femme de la prophétie étaient
une seule et même jeune femme, et si l’enfant était cet Emmanuel ? Le rêve
opère comme une sorte de rappel à la foi, à la foi d’Israël, à la foi en
Dieu : le chemin le plus étroit, le plus étonnant pour les humains, est
peut-être celui que Dieu attend qu’on prenne, est peut-être le chemin de
l’accomplissement de la promesse. Ce chemin, il faut bien oser le prendre si
l’on veut qu’il soit un chemin. Le rêve est aussi un « pourquoi
pas ? » qui attend la décision du rêveur.
Joseph se souvient-il de son
rêve ? Prenons garde, en tant que lecteurs, de ne pas en savoir trop. Nous
en savons beaucoup… Nous le voyons rêver, nous savons qui est dans son rêve, et
qui est l’enfant que Marie porte. C’est bien, en un sens, car c’est le motif de
l’action de grâce, de la joie d’une attente dont nous savons un peu la fin,
c’est Noël par anticipation, c’est peut-être même un pilier essentiel de notre
foi. Mais notre foi, si elle est reconnaissance, action de grâce, peut et doit
aussi être engagement, chemin vers un inconnu, connu de Dieu seul. Joseph ne se
souvient pas de son rêve et nous l’oublions avec lui.
Et nous revenons à ce qui s’observe,
à ce qui se voit, à ce que les contemporains de Joseph ont réellement vu :
l’acte de Joseph qui prend chez lui et comme femme cette Marie, contre la
rumeur, contre la Loi, contre le qu’en-dira-t-on… Et lorsque cette jeune femme
trouvée enceinte d’on ne sait qui met au monde son enfant, il lui donne un nom
plein d’espérance : Jeoshoua, Jésus, ce qui signifie « Dieu
sauve ».
Ce n’est pas rien, ce prénom, car qu’est-ce qui peut certifier à
Joseph, qu’est-ce qui peut assurer à un juste, qu’il a raison d’agir ainsi
qu’il agit ? Rien. Le juste vit et agit par la foi, dit le prophète
Habacuc. Et Dieu sauve ; même l’acte du juste doit être sauvé ; on
doit même dire que le propre de l’acte du juste est qu’il ne peut être sauvé
que par Dieu seulement, justement parce que cet acte est un acte de foi.
Nous annoncions au commencement de cette prédication que nous
entendions parler de la justice et de la divine providence.
De Joseph le juste nous savons donc qu’il lit et médite les Saintes
Ecritures, qu’il a foi en Dieu, qu’il attend la réalisation de la promesse et
qu’il décide, contre vents et marée, humblement mais résolument, de prendre
personnellement le risque que cette promesse devienne réalité. Puissions-nous,
nous aussi, être trouvés justes…
Quant à la divine providence, envisageons-la du point de vue de Marie.
La divine providence est, pour elle, l’acte d’un homme. Puissions-nous, si un
jour notre situation vient à être compromise, être au bénéfice de la divine
providence. Et puissions-nous surtout être de ceux qui la mettent en œuvre.
Amen