dimanche 19 avril 2015

Des apparitions du ressuscité (Luc 24,35-48)

Spectacle... une faute de frappe, que je n'ai pas laissé subsister, m'a fait écrite le début du mot "spectral". Je m'en suis étonné, un instant, parce que juste un instant auparavant, j'étais à me demander comment j'allais illustrer le fait que Daesh vient de mettre en ligne une nouvelle vidéo d'exécution, cette fois de 28 hommes, présentés comme des chrétiens éthiopiens. Spectacle ignoble - n'abusons pas des qualificatifs pour ce qui est inqualifiable - encore une fois. De ces 28 hommes nous n'aurons même pas les noms... 

Je choisis cette photo. Elle n'a rien à voir avec l'actualité. C'est l'été arctique, très loin, vers le nord. L'été arctique dure si peu de temps qu'il y a pour les plantes et les espèces une sorte d'urgence... C'est cela, une sorte d'urgence vitale. On ne cueille pas ces fleurs. On ne prend pas une vie. On en célèbre le mystère et la beauté et, même, cette célébration reste discrète, voire secrète. Tout le contraire de ce dont je parlais plus haut. Le long labeur de vivre ne supporte pas certaines mises en images.

Et puisqu'on va méditer sur les apparitions du ressuscité, on peut bien se demander de quoi ces apparitions relèvent. Du long labeur de vivre, ou de la mise en images ?

Luc 24
35 Et eux racontèrent ce qui s'était passé sur la route et comment ils l'avaient reconnu à la fraction du pain.
36 Comme ils parlaient ainsi, Jésus fit irruption au milieu d'eux et il leur dit: «La paix soit avec vous.»
37 Violemment troublés et terrifiés, ils pensaient voir un esprit.
38 Alors il leur dit: « Pourquoi tant de confusion, et pourquoi des questions montent-elles dans vos coeurs?
39 Regardez mes mains et mes pieds: c'est bien moi. Touchez-moi, regardez; un esprit n'a ni chair, ni os, comme vous voyez que j'en ai.»
40 À ces mots, il leur montra ses mains et ses pieds.
41 Comme, sous l'effet de la joie, ils demeuraient encore incrédules et comme ils étaient abasourdis, il leur dit: «Avez-vous ici de quoi manger?»
42 Ils lui offrirent un morceau de poisson grillé.
43 Il le prit et mangea sous leurs yeux.

44 Puis il leur dit: «Voici les paroles que je vous ai adressées quand j'étais encore avec vous: il faut que s'accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.»
45 Alors il leur ouvrit l'intelligence pour comprendre les Écritures,
46 et il leur dit: «C'est comme il a été écrit: le Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour, 47 la conversion en vue du pardon des péchés sera annoncée, en son nom, à toutes les nations, à commencer par Jérusalem, 48 c'est vous qui en êtes les témoins.

49 Et moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Pour vous, demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez, d'en haut, revêtus de puissance.»
50 Puis il les emmena jusque vers Béthanie et, levant les mains, il les bénit.
51 Or, comme il les bénissait, il se sépara d'eux et fut emporté au ciel.
52 Eux, après s'être prosternés devant lui, retournèrent à Jérusalem pleins de joie, 53 et ils étaient sans cesse dans le temple à bénir Dieu.

Prédication
            Deux semaines après Pâques, nous voici de nouveau aux prises avec un récit d’apparition du ressuscité.
Le dimanche de Pâques de cette année, nous étions invités à méditer sur le récit que donne l’évangile de Marc dans sa version primitive. Marc, le plus ancien des évangiles, dans sa version primitive, ne comporte pas d’apparition du ressuscité, mais juste une proclamation de l’ange et un envoi en Galilée. Plus tard, cet évangile a été retravaillé, et des rédacteurs tardifs ont ajouté à la version primitive une apparition du ressuscité. Ce qui fait que, dans les quatre évangiles, le ressuscité apparaît. Nous allons nous demander pourquoi ceux qui ont écrit ces évangiles ont tous éprouvé le besoin d’y introduire des apparitions du ressuscité. Nous nous intéresserons plus précisément à Luc.
Pourquoi donc les évangiles rapportent-ils des récits d’apparition du ressuscité ? La réponse la plus simple est que ces  apparitions ont bel et bien eu lieu et qu’elles prouvent bien la résurrection de Jésus de Nazareth. Cette réponse, qui a le mérite de la simplicité, n’est pas satisfaisante.
La résurrection de Jésus de Nazareth n’est pas un moment objectif de l’histoire de l’humanité mais le cœur de la prédication chrétienne. Ramener la résurrection de Jésus de Nazareth à n’être qu’un moment de l’histoire, cela revient à affadir terriblement le langage de la foi, et peut-être même à vider la foi de son contenu. Et puis si l’on choisit de procéder ainsi, il faut procéder de même avec tous les autres éléments fantastiques du récit. Dans le récit que nous lisons, celui de Luc, ces éléments sont au nombre de deux : Jésus soudain se tient là… et personne ne l’a vu arriver, comme un passe-muraille ; et plus fort encore, quelques verset plus loin, il est emporté au ciel.
Ce que je veux dire, c’est que si Luc, mais pas lui seulement, veut attester la véracité historique de la résurrection de Jésus de Nazareth, il s’y prend vraiment très mal. Ça n’est pas en multipliant les éléments fantastiques d’un récit qu’on le rend crédible. Sauf si l’on est un auteur dont l’intention est d’abêtir ses lecteurs... Et comme nous ne voulons pas faire outrage à l’inspiration de Luc et de son texte, nous laissons de côté la réponse la plus simple.
            Reste donc la question : pourquoi y a-t-il, dans les évangiles, des apparitions du ressuscité ? Et j’ose une hypothèse : si Luc, et pas Luc seulement, introduit dans son évangile une – et plusieurs – apparition du ressuscité, c’est pour faire face en son temps  à une inflation galopante de récits d’apparitions du ressuscité. Il y en a eu des centaines, tous plus fantastiques, plus merveilleux, plus détaillés les uns que les autres. Et pour dire quoi ? Et pour porter quel message ? Des foules entières sortant du tombeau et défilant devant des foules médusées… du spectacle, beaucoup de spectacle, beaucoup d’abrutissement, mais rien qui nourrisse la méditation et la foi.
Les évangiles, s’agissant du fantastique, font le service minimum. Luc donne quelques détails corporels, et met surtout en avant ce qu’il tient pour le cœur de l’enseignement permanent de Jésus. Il procède ainsi, justement pour que les récits d’apparition, avec ce qu’ils ont de magique, voire d’aliénant, passent à l’arrière plan et que la parole de l’évangile soit placée, elle, au tout premier plan.

            Quel est cette parole, selon Luc ? Lisons – il suffit de lire – ceci : « …la conversion en vue du pardon des péchés, sera annoncée (au nom du Christ), à toutes les nations, à commencer par Jérusalem » Il n’y a rien de magique ni de merveilleux là-dedans. Cela sera annoncé. Par qui cela sera-t-il annoncé ? Par les disciples de Jésus, évidemment ! Personne d’autre à ce stade du récit ne peut en être témoin. Mais certainement pas témoin d’une apparition fantastique. Après la première génération, il n’y a plus de témoins, rien que des racontars. Aussi les disciples doivent-ils être témoins de la résurrection par une vie toute entière qui atteste d’une conversion en vue du pardon des péchés. Qu’est-ce à dire ? C’est assez simple encore.
On relit l’évangile. On y voit des disciples, de braves disciples, de braves gens, mais qui ne comprennent rien à l’enseignement de leur maître, qui cherchent à s’en tenir à la littéralité d’un texte sacré, qui espèrent s’imposer par la force, qui vont de fanfaronnades en fanfaronnades… et qui, lorsque le chemin devient par trop accidenté, s’endorment, renient et se débandent. Dans l’évangile on voit aussi un maître, Jésus de Nazareth, qui tâche d’enseigner, qui fait tout ce qu’il peut, guérit, nourrit, qu’on suit, voire qu’on idolâtre tant que ça n’est pas trop dangereux et qui finit tout seul abandonné, trahi, et mort.
Ce qu’on voit dans l’évangile : la grande bonté, la grande pureté souillées par la bêtise de pécheurs ordinaires.
Mais, dans l’évangile, et c’est pour Luc le cœur de sa Bonne Nouvelle, la grande bonté et la grande pureté ne peuvent pas être renvoyées au néant, même lorsque celui qui les a incarnées est mort de la manière la plus infamante qui soit. En plus, ceux qui ont péché, souillé, trahi, ne peuvent pas être réduits à leur passé et ne sont pas condamnés par leurs actes ; le pardon de leurs péchés, c'est-à-dire leur libération, est l’horizon de leur possible conversion.
Ceci est, pour Luc, le cœur de la Bonne Nouvelle, et c’est premier par rapport à toutes les apparitions possibles du ressuscité.

C’est premier parce que c’est toujours actuel. Le lecteur de l’évangile, l’auditeur de la prédication chrétienne est invité à avoir une intelligence ouverte, disposée à comprendre les Ecritures, disposé à dépasser la chose écrite pour entrer dans une lecture concrète, une interprétation incarnée de ce qu’elles expriment. Et ici, au moment où Luc conclut sont récit, au moment où il résume tout en une ou deux phrases, il déclare pour toutes les générations qui viendront, il déclare pour nous que :
-          le pire de ce qu’un être humain a accompli ne le condamne pas à jamais, car se repentir est possible, changer est possible, grandir est possible ; le pécheur n’est pas voué au péché, et ce qui l’enchaîne aujourd’hui peut très bien demain le laisser libre ;
-          le meilleur de ce qu’un être humain accomplit, le plus beau, le plus généreux, le plus pur, ne peut jamais être totalement vain, même si celui qui l’accomplit n’en recueille aucun fruit ; autrement dit, il faut prêcher l’évangile en paroles et en actes, annoncer concrètement la résurrection ; et cela même si l’on n’en recueille aucun fruit, même si l’on ne recueille que quolibets ou indifférence ;
-          et ainsi, l’apparition du Christ ressuscité est le nom que l’on peut donner à cet événement, à ce parcours d’une vie lorsque cette vie a été renouvelée, et transformée ; rien de magique là-dedans, rien de fantastique et pourtant quelque chose d’infiniment beau, et d’infiniment simple.


Qu’il en soit ainsi de nos vies.