dimanche 12 octobre 2014

Va, et, désormais, ne pèche plus ! (Jean 8,11) Mais quel péché ?

Il ne sera pas sans intérêt de relire préalablement, le 8ème chapitre de l'évangile de Jean. On connait en général assez bien la première partie de ce chapitre (v.1-11), assez bien aussi la seconde partie du même chapitre (v.12-20), où s'opposent le jugement selon la chair et le jugement selon la vérité, mais on articule rarement les deux. Je donne, dans les quelques lignes qui suivent, des indications très rapides sur cette articulation, avant de peut-être, un prochain jour, vous proposer un développement plus conséquent.

Mais c'est le péché qui m'intéresse le plus dans cette courte méditation.

Va et, désormais, ne pèche plus. (Jean 8,11)

C’est intentionnellement que je fais lecture de ce seul verset. Non pas pour le sortir d’un contexte que vous connaissez bien tous, mais pour le faire entrer d’un coup d’un seul dans un processus interprétatif.
Mais peut-être que ce contexte vous ne le connaissez pas. Il est donc question d’une femme qui a dit-on contrevenu au commandement sixième lequel enjoint de ne pas commettre l’adultère, et la Loi prévoit la mise à mort de ceux qui seraient trouvés transgresseurs. On amène une femme à Jésus… et on se demande bien où est le monsieur, tant il est vrai que, pour commettre ce genre de chose, il faut être deux. Ce qui est d’ailleurs tout à fait fou, dans les textes terrifiants qui prévoient la mise à mort de toutes sortes de gens, c’est que la question du consentement n’est jamais évoquée. En cas d’agression, on ordonne donc la mise à mort tant de l’agresseur que de la victime, pour ne pas que l’impureté se répande, sans doute… En cas de grossesse de père inconnu, qu’il s’agisse d’une coucherie de hasard ou d’un viol, la sanction est la même.
Bref, on amène une femme à Jésus, sans le monsieur, une Bethsabée sans David. Dans la bouche les versets qui tuent, dans les mains les pierres qui tuent. Et à ce jugement selon la chair, littéral, collectif, et lâche, Jésus oppose un jugement selon la vérité, interprétatif, personnel et responsable. « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette le premier la première pierre. » Et vous savez ce qui s’ensuit.

Ça, c’est pour le contexte. La finale de l’épisode nous fait lecteurs d’une injonction : « Va et, désormais, ne pèche plus. » Et le lecteur de se demander de quel péché il est question dans cette injonction.
Alors, bien entendu, on va répondre « adultère ». Mais est-ce seulement bien certain ? Plusieurs objections.
La mise en perspective du commandement, telle que nous l’avons faite, ne nous permet pas de répondre ainsi. C’est beaucoup trop facile de projeter dans ce texte l’imaginaire occidental qui est le nôtre, celui des lecteurs de la presse people ou de Madame Bovary, première objection. Seconde objection, s’il s’agit, même après un sauvetage aussi magistral, de ne faire rien de mieux que rappeler la bonne vieille Loi que tout le monde connaît, on n’a pas besoin d’un Messie.

Alors, le lecteur se demande de quel péché il s’agit lorsqu’il lit « Va et, désormais, ne pèche plus. » Bien entendu, dans le récit, seule la femme est auditrice de l’injonction, mais le lecteur, lui, a le souvenir de la présence menaçante de ceux qui avaient déjà saisi les versets bibliques et les pierres. C’est dire que le lecteur, lui, peut se dire que cette injonction concerne la femme et ses accusateurs.
Quel péché – le même pour tous – aurait-on alors commis, dans cette affaire, qu’on soit les accusateurs, la femme qui aurait été légère, ou le lecteur ? Ce péché pourrait être le même pour tous, la légèreté. Pécher, c’est disposer pour soi-même et pour sa propre satisfaction d’un corps, d’un texte ou d’une vie, au lieu de s’offrir, de se consacrer à eux.
De ce péché Jésus a fait grâce aux accusateurs en les empêchant de le parachever dans le sang, il en fait grâce à la femme tout autant.
Et la recommandation qu’elle reçoit, et que le lecteur reçoit ne peut aller que dans un sens. Faire grâce. Apprendre le sérieux et la grâce, quoi, le travail de toute une vie.