vendredi 24 janvier 2014

Mais qu'avaient-ils en trop? (1 Corinthiens 1,10-16 ; Marc 9,33-40) Méditation sur l'Unité

1 Corinthiens 1,10-16
10 Mais je vous exhorte, frères, au nom de notre Seigneur Jésus Christ: soyez tous d'accord, et qu'il n'y ait pas de divisions parmi vous; soyez bien unis dans un même esprit et dans une même pensée.
11 En effet, mes frères, les gens de Chloé m'ont appris qu'il y a des discordes parmi vous.
12 Je m'explique; chacun de vous parle ainsi: «Moi je suis de Paul. - Moi d’Apollos. - Moi de Céphas. - Moi de Christ.»

13 Le Christ est-il divisé? Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous? Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés?

14 Dieu merci, je n'ai baptisé aucun de vous, excepté Crispus et Gaïus;
15 ainsi nul ne peut dire que vous avez été baptisés en mon nom.
16 Ah si! J'ai encore baptisé la famille de Stéphanas. Pour le reste, je n'ai baptisé personne d'autre, que je sache.

Marc 9,33-40
33 Ils allèrent à Capharnaüm. Une fois à la maison, Jésus leur demandait: «De quoi discutiez-vous en chemin?»
34 Mais ils se taisaient, car, en chemin, ils s'étaient querellés pour savoir qui était le plus grand.
35 Jésus s'assit et il appela les Douze; il leur dit: «Si quelqu'un veut être le premier, qu'il soit le dernier de tous et le serviteur de tous.»
36 Et prenant un enfant, il le plaça au milieu d'eux et, après l'avoir embrassé, il leur dit:
37 «Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, m'accueille moi-même; et qui m'accueille, ce n'est pas moi qu'il accueille, mais Celui qui m'a envoyé.»
38 Jean lui dit: «Maître, nous avons vu quelqu'un qui chassait les démons en ton nom et nous avons cherché à l'en empêcher parce qu'il ne nous suivait pas.»
39 Mais Jésus dit: «Ne l'empêchez pas, car il n'y a personne qui fasse un miracle en mon nom et puisse, aussitôt après, mal parler de moi.

40 Celui qui n'est pas contre nous est pour nous.

Prédication :
            Quelques versets juste après ceux que nous venons de lire dans l’évangile de Marc, voici ce que nous trouvons.
Marc 9,43 « Si ta main entraîne ta chute, coupe-la; il vaut mieux que tu entres manchot dans la vie que d'aller avec tes deux mains dans la géhenne, dans le feu qui ne s'éteint pas »
Si ta main entraine ta chute (TOB), ou si ta main est pour toi occasion de péché (BJ), ce sont traductions un peu insuffisantes d’un verbe grec difficile, qui évoque le piège, le scandale, l’immobilité… Si nous lisons tout simplement ce verset le contraire de ce verbe difficile est très beau : « entrer dans la vie ». Si ta main donc t’empêche d’entrer dans la vie… Et s’il en est un qui est entré dans la vie, dans la plénitude de la vie, c’est bien Jésus qui, volontairement, n’a rien gardé pour lui-même.
Disons-le donc tout net, et tout de suite : si l’on veut entrer dans la vie, la question à se poser ne sera pas « Que me manque-t-il ? », mais « Qu’ai-je en trop ? »

Qu’avaient-ils en trop, donc, ces disciples de Jésus ? Il est difficile d’en donner le détail, mais ils avaient de quoi se quereller pour savoir lequel d’entre eux était le plus grand. On peut penser au temps qui s’était écoulé depuis qu’ils suivaient leur maître, et ce temps n’était pas le même pour tous. On peut penser à leur présence éventuelle sur le mont de la transfiguration, et tous n’y avaient pas été. On peut penser aussi à ce qu’ils avaient fait, l’un, l’autre, lorsque Jésus les avait envoyés en mission. On peut penser encore qu’ils avaient eu plus ou moins peur lors de la traversée tempétueuse de Galilée. On peut penser qu’ils n’avaient pas confessé au même moment que Jésus est le Christ… En fait, on peut relire l’évangile de Marc depuis le début et chaque épisode est, si on le veut, occasion de décompte, et de comparaison. Tout peut être occasion de décompte, de comparaison, de condamnation, et même le service, et même la petitesse. Il y a toujours pour s’enorgueillir d’être les plus humbles. Et les croyants qui n’y prennent pas garde ont toujours tôt fait de devenir les défenseurs jaloux de leur grand dieu d’amour…
Qu’ont-ils donc en trop, ces disciples de Jésus ? Si l’on veut bien traverser tout le récit de Marc, les disciples ont en trop qu’ils ont encore leur maître avec eux… Les disciples de Jésus ne deviendront ses apôtres, ne commenceront à annoncer l’Evangile qu’après la résurrection, c'est-à-dire seulement après que, le tombeau ayant été trouvé tout vide, leur maître sera pour toujours devenu insaisissable. Alors, peut-être, n’ayant plus rien qu’ils puissent posséder, ils commenceront réellement à vivre par la foi et donc à annoncer sérieusement l’Evangile…

Seulement, l’Evangile est toujours annoncé dans un langage, avec des manières et des usages qui sont ceux de celui qui l’annonce. Et les occasions de se quereller seront évidemment aussi nombreuses après la mort et la résurrection du Christ que pendant sa vie.
Corinthe, pour ne prendre qu’un exemple, et d’incessantes discordes, parce que les uns se déclaraient de Paul, d’autres d’Apollos, d’autres de Céphas et d’autres de Christ. Ils se déclaraient sans doute de l’un ou de l’autre tout comme on se déclare d’un pays, d’un village, d’une ethnie ou d’un clan. Se déclarer de tel ou tel, c’était mettre en avant une sorte d’identité, une sorte de privilège, d’avantage, par quoi ils pouvaient s’identifier entre eux et se rendre inaccessibles aux « autres ». Et ces divisions spirituelles recouvraient certainement des divisions sociales, un prédicateur donné ne pouvant pas, hier comme aujourd’hui, être reçu dans tous les milieux. Et les milieux corinthiens étaient très très contrastés et inégaux…
Paul se trouve donc confronté au même problème que Jésus… Ces gens ont trop – ça n’est pas le même trop pour tous ; ils ont en trop et cela fait qu’ils ne cessent de se diviser...
Le Christ est-il divisé, demande alors Paul ? Avant de répondre qu’il ne l’est pas, il faut répéter que le Christ n’a rien gardé pour lui-même, rien de ce dont il aurait pu tirer gloire et parti. Il faut répéter que le Christ s’est approché des uns comme des autres, des hommes comme des femmes, des riches comme des indigents, des nés natifs comme des étrangers, des impurs comme des purs… Il n’a fait de rien qui fût à lui obstacle entre lui-même et ses contemporains. Le Christ n’a rien eu qui fut de trop, puisqu’il a finalement tout donné. Alors, non, le Christ n’est pas divisé !
A-t-il été profitable aux Corinthiens que Paul s’adresse ainsi à eux ? Sa lettre a été reçue par les Corinthiens, et par toute la chrétienté. Mais cette lettre n’a à l’évidence pas tout résolu.

Longtemps après Paul, la question se pose de nouveau. Nous ne sommes pas de Paul ou d’Apollos, mais nous sommes de Jean Calvin, pour les uns, et du Pape François, pour les autres. Est-ce que nous allons projeter cela devant nous pour nous en faire une gloire et une armure ? Est-ce que cela va nous servir à tenir tel ou tel à distance de nous ? Est-ce que ça va être l’occasion de se quereller ? Si tel est le cas, nous sommes divisés entre nous-mêmes, ce qui est assez peu grave, mais aussi en nous-mêmes, ce qui est beaucoup plus grave.
La division de l’être humain avec lui-même commence lorsque, ayant péché, dans le jardin d’Eden, l’être humain – homme tant que femme – dit « C’est pas moi, c’est l’autre ! » Cette division est ce par quoi l’on met autrui – et Dieu – à distance, au lieu de choisir de s’en approcher ; cette division est ce par quoi l’on se justifie au lieu de se risquer, cette division avec soi-même est le signe qu’on refuse de vivre par la foi.
Alors est-on de Calvin ou de François, est-on de Genève ou de Rome ? Si c’est exclusivement qu’on l’est, alors on n’est pas entré dans la vie. Et c’est donc en trop dans notre vie avec Christ, dans notre vie tout court. Et cela, au titre de l’Evangile que nous avons lu, doit être coupé, arraché, etc.
Si ton protestantisme est pour toi un piège, si ton catholicisme est pour toi un piège – non pas LE catholicisme, non pas LE protestantisme, mais le tien, celui auquel tu tiens tant qu’il est obstacle entre toi et la vie, entre toi et ton semblable – jette-le, révise-le, réforme-le, parce que c’est avec une foi révisée, fragile, sérieuse, profonde, avec une foi seule et nue, qu’on peut entrer dans la vie, dans la pleine et vraie vie. Amen