samedi 28 juin 2025

Quand les disciples attrapent la grosse tête (Luc 9,51-56)

Luc 9

51 Or, comme arrivait le temps où il allait être enlevé du monde, Jésus prit résolument la route de Jérusalem.

52 Il envoya des messagers devant lui. Ceux-ci s'étant mis en route entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue.

53 Mais on ne l'accueillit pas, parce qu'il faisait route vers Jérusalem.

54 Voyant cela, les disciples Jacques et Jean dirent: «Seigneur, veux-tu que nous disions que le feu tombe du ciel et les consume?»

55 Mais lui, se retournant, les réprimanda.

56 Et ils firent route vers un autre village. 

Prédication : 

            Et voici que deux disciples de Jésus sont prêts à incendier un village… Ces versets consternants sont les presque derniers versets du 9ème chapitre de l’évangile de Luc. L’épisode n’est rapporté que par Luc (il faut le génie de Luc pour oser transmettre cela). Que s’est-il passé pour qu’on en arrive là ?

            Nous reculons un peu dans le récit… Commencement du même chapitre : « 1 Ayant réuni les Douze [et donc parmi ces Douze, Jacques et Jean], il leur donna puissance et autorité sur tous les démons et il leur donna de guérir les maladies. 2 Il les envoya proclamer le Règne de Dieu et faire des guérisons… »

            Et les Douze s’en vont, avec en plus de ces ordres une consigne assez simple : « 4 Dans quelque maison que vous entriez, demeurez-y. C'est de là que vous repartirez. 5 Si l'on ne vous accueille pas, en quittant cette ville secouez la poussière de vos pieds… » Ce dernier geste n’est en aucun cas une menace. L’expression signifie qu’on n’emporte rien avec soi, et en particulier qu’on n’emporte pas les sentiments – comme la haine – qui pourraient naître justement de ce rejet dont on a été l’objet.

            Ceci dit, lorsque les Douze [et parmi eux Jacques et Jean] rentrent de mission, ils ne rapportent aucun rejet, ni aucun échec.

            Un peu de temps passe ; les disciples assistent à une multiplication des pains et des poissons. Jésus les interroge : « Qui suis-je, au dire des foules ? » et encore « Et vous, qui dites-vous que je suis ? ». C’est Pierre qui, devant tous, dont Jacques et Jean, lâche la réponse : « Le Christ de Dieu ! » L’idée que leur maître n’est pas un prophète parmi d’autres, un prédicateur brillant, un guérisseur performant… qu’il est tout cela parce qu’il est infiniment plus fait son chemin dans la tête des disciples de Jésus.

            Puis, trois d’entre eux, dont Jacques et Jean, assistent à la Transfiguration de Jésus : le ciel lui-même vient leur confirmer l’intuition qui a été jusqu’ici la leur, leur maître, Jésus de Nazareth, est, dit la voix du ciel « Mon Fils, l’Élu (…) ».

            Et c’est à peu près à ce moment que viennent les versets terribles que nous venons de lire. Jacques et Jean, qui font partie des Douze, que Jésus a puissamment équipés pour une mission généreuse de proclamation et de guérison, se trouvent prêts à incendier un village entier parce qu’on n’a pas voulu les y accueillir, eux et leur maître.

Et que s’est-il donc passé dans leurs têtes pour qu’ils en arrivent à ça ?

 

Oui, ce village était un village de Samaritains. Mais mettre ici en avant la détestation mutuelle que se vouaient en ce temps Juifs et Samaritains n’a pas vraiment de portée… Certes, l’Évangile invite à dépasser les clivages habituels et les détestations ancestrales. Mais il y a infiniment plus sérieux, plus grave, et plus actuel que cela.

            Jacques et Jean, qui étaient de doux, humbles et enthousiastes missionnaires au commencement du chapitre, deviennent soudain des voyageurs capricieux et vindicatifs… Pourquoi ? Les disciples – dont Jacques et Jean – ont compris que leur maître est « le Christ de Dieu », la voix du ciel leur a affirmé qu’il est « Fils de Dieu ». Ils ont saisi que Jésus de Nazareth, leur maître, celui qu’ils suivent et servent, est unique, parfaite et définitive manifestation de Dieu. Et voici qu’avec cette compréhension, avec cette certitude, ils deviennent ce que nous les voyons devenir,  prétentieux, et vindicatifs. Qu’ont-ils compris, Jacques et Jean ? Ils n’ont rien compris du tout. Ils ont seulement attrapé la grosse tête…

 

            Jésus est le Christ de Dieu, le Fils de Dieu. Et voici pour Jacques et Jean, pour les disciples du Christ, et pour nous, une question : peut-on être porteur d’un tel savoir, d’une telle certitude, et d’une telle puissance, sans attraper la grosse tête ?, sans se croire si important que les autres devraient être attentifs à nos personnes, nous être soumis, nous obéir, ou bien être anéantis ?

Cette question a été en christianisme d’une actualité brûlante ; et elle concerne aujourd’hui bien d’autres religions que la nôtre. Les religions conduisent-elles nécessairement à la haine et au mépris ? Ceux qui sont religieux, et nous le sommes, sont-ils nécessairement prétentieux et arrogants ?

Nous avons ici matière à méditer sur notre religion, sur notre foi, sur notre vie. Jacques et Jean, pour leur part, n’ont rien médité du tout. Ils ont été équipés par Jésus d’une puissance considérable et, tout imbus d’eux-mêmes, ils se sentent presque autorisés à libérer le feu du ciel sur de simples impudents. Cette disposition qui est la leur est-elle une fatalité ?

 

Il y a trois intuitions fondamentales, d’une portée universelle et d’une actualité permanente, qui sont toutes trois dans l’Ancien – soi disant ancien - Testament.

La première de ces intuitions, c’est que Dieu ne peut pas être représenté et que son nom est imprononçable. « Écoute Israël, IHVH notre Dieu, IHVH est UN » (Deutéronome 6,4). Dieu seul est Dieu, pourrait-on dire et cela, bien compris par tous ceux qui prétendent le connaître et le servir, devrait interdire qu’on s’en croie le défenseur, le détenteur, le dispensateur et le protecteur, sous quelque forme que ce soit, ni par l’oracle, ni par le rituel, ni par les Saintes Écritures. Et personne ne peut aller faire le malin avec ça.

La seconde de ces intuitions, qui découle directement de la première, porte sur la compréhension des textes, car les textes sont bel et bien une représentation de Dieu. La seconde des intuitions porte sur la distinction entre garder le commandement et le mettre en pratique (Lévitique 20,18-19). Tenir cette distinction vous empêche de prétendre à quoi que ce soit et vous laisse avec vos actes devant votre conscience et devant Dieu.

La troisième de ces intuitions, c’est que c’est toujours Dieu qui libère (Exode 20,2) et toujours Lui qui sanctifie.

Ces trois intuitions définissent ensemble le combat de la foi, pour la foi, contre l’orgueil, qui est un combat de chaque jour, combat contre ce qui défigure Dieu en faisant de lui une idole parmi les autres idoles, combat pour les humains, contre tous les usages asservissants et totalitaires qu’on peut faire des textes sacrés.

           

Jacques et Jean n’ont assurément pas médité ainsi… Mais peut-on méditer ainsi lorsqu’on vient juste de comprendre qui est le maître qu’on sert ? Méditer à chaud sur une actualité aussi bouleversante que la Transfiguration, celle des plus proches disciples de Jésus, qui le pourrait ? Il ne faut pas trop en vouloir à Jacques et Jean… personne ne peut dire qu’il aurait fait mieux qu’eux. Nous ne sommes, comme eux, et comme les quelques autres qui apparaissent dans ce récit, que des apprentis.

Et avec tout cela, Jésus, en route avec ses disciples pour Jérusalem, réprimanda Jacques et Jean. Et tous poursuivirent alors leur chemin.

A Jérusalem, les trois intuitions que nous avons mises en avant allaient trouver en Jésus leur parfait accomplissement :

-       Le sauveur, le Messie, Christ de Dieu, Fils de Dieu, ne peut pas être crucifié… Il le fut et personne ne put ni ne peut avec cela attraper la grosse tête ;

-       Le plein accomplissement de la distinction entre garder les commandements et les mettre en pratique s’accomplit seulement en celui se fait esclave de tous, et qui se livre à tous. Et personne ne peut se faire gloire d’avoir pour maître un esclave ;

-       Le plein accomplissement de la sanctification par Dieu se fait dans la proclamation de la résurrection. Mais cette résurrection, nous sommes incapables de la produire, et incapables aussi de la prouver. Nous ne pouvons pas nous en faire gloire.

 

Ce qui fait qu’il ne nous reste que ceci : apprendre à croire, laisser la pensée et la vie éroder les certitudes massives et prétentieuses qui peuvent être celles des croyants, et vivre courageusement et humblement à la suite de notre maître, Jésus Christ, Fils de Dieu. Que Dieu nous soit en aide. Amen


samedi 14 juin 2025

De quel esprit sommes-nous habités ? (Jean 16,12-16)

Jean 16

12 J'ai encore bien des choses à vous dire mais vous ne pouvez les porter maintenant;

 13 lorsque viendra l'Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. Car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu'il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir.

 14 Il me glorifiera car il recevra de ce qui est à moi, et il vous le communiquera.

 15 Tout ce que possède mon Père est à moi; c'est pourquoi j'ai dit qu'il vous communiquera ce qu'il reçoit de moi.

 16 «Encore un peu et vous ne m'aurez plus sous les yeux, et puis encore un peu et vous me verrez.»

Prédication : 

            En lisant ces quelques versets de l’évangile de Jean, il me revient le souvenir de Jacques et Jean, disciples de Jésus qui, un jour que l’hospitalité leur avait été refusée dans un village de Samaritains, se proposèrent de commander au feu du ciel de descendre et d’annihiler ce village et ses habitants (Luc 9). Ça n’est pas pour rien que ces deux disciples étaient surnommés ‘fils du tonnerre’ ; ils voulaient reproduire les prouesses du prophète Elie qui, lorsqu’il était en colère, commandait au feu du ciel de consumer un taureau sur un autel (1 Rois 18), ou une troupe de cinquante hommes (2 Rois 1)… Jésus, réprimanda ses disciples et leur dit : « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes animés ». Et cela suffit semble-t-il pour calmer leurs ardeurs. Mais il ne se trouva personne, même pas Dieu, pour calmer certaines des ardeurs du prophète Elie, dont la trace est pour toujours maculée de cendres et de sang.

            Toujours en lisant ces quelques versets, me reviennent les souvenirs de quelques leaders protestants du renouveau charismatique des années 70, leaders que les circonstances de la vie m’avaient amené à côtoyer. Même si je me souviens de quelques personnalités lumineuses, je me souviens aussi de personnes dont le point commun était leur violence, la violence des réunions qu’ils présidaient, la violence de leurs enseignements, et la violence des propos qu’ils tenaient lorsqu’ils parlaient les uns des autres. J’en ai entendu douter publiquement qu’untel, autre leader de ce temps-là, fût animé par l’esprit.

            Des années 1970 aux années 1530, il y a peu de distance et il se trouva qu’un jour, Luther et Zwingli ayant été capables de s’entendre sur tout sauf sur le sens de « ceci est mon corps », Luther refusa la poignée de main de Zwingli et l’apostropha de cette manière : « Nous n’avons pas le même esprit ! »

            Car il va demeurer de cette introduction la parole de Jésus transmise par l’évangile de Luc : « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes animés ». Ce qui est étonnant, c’est que les principaux manuscrits que nous possédons de l’évangile de Luc ne comportent pas cette phrase ; c’est une variante très intéressante, il y a là une question délicate, même urgente : avant la Pentecôte, dès lors qu’il est question d’actes de puissance, ou après la Pentecôte et l’onction que nous savons, de quel esprit tous ces gens sont-ils animés ?

 

            Nous avons sous les yeux quelques versets de l’évangile de Jean. Dans cet évangile, l’esprit porte plusieurs noms. L’un de ces noms est parfois simplement translittéré : Paraclet. En tant que tel, ça ne veut rien dire. Le mot Paraclet reporté dans sa langue d’origine signifie avocat, ou consolateur. L’esprit, sous ce nom, a pour mission de consoler les disciples de Jésus anéantis par la violence de la perte de leur maître. Demandons-nous si cette consolation, la dernière prédication de leur maître ayant justement porté sur l’amour, cette consolation peut conduire les disciples à une conduite violente. Lorsqu’on lit après l’évangile de Jean les trois épîtres de Jean, on ne peut que constater cette violence. Alors, au sujet de ces gens qui ont suivi la voie particulière de cet évangile, nous pouvons nous demander : de quel esprit étaient-ils animés ?

            L’esprit porte, dans l’évangile de Jean, encore un autre nom, que nous avons sous les yeux : l’esprit de vérité. « Lorsque viendra celui-là, l’esprit de vérité, il vous guidera dans toute la vérité » ou dans la vérité toute entière. Guider, c’est mener, c’est conduire sur un chemin, le chemin de la vérité, le chemin vers la vérité. S’il y a un chemin, et un guide, c’est que la vérité ne se présente pas comme un donné que l’on pourrait posséder. Et puisque l’adresse de Jésus est à la deuxième personne du pluriel (vous conduira), c’est que ce chemin a une double dimension : une dimension collective, et une dimension individuelle : et chacun peut bien comprendre il me conduira, et il nous conduira. Il me conduira dans la vérité et vers la vérité de ce que je suis et il nous conduira dans la vérité et vers la vérité de ce que nous sommes. Puis-je – et pouvons-nous – porter, supporter ce qu’en vérité nous sommes ? Non. Et nous faisons dans chaque culte une prière de repentance. Puisse cet esprit venir, qu’il nous guide, et qu’il nous soit en aide.

 

            Pourquoi lire ce texte aujourd’hui, dimanche de la Trinité ? Et pourquoi insister sur cet esprit dont il semble qu’au fil des âges bien des gens s’en soient réclamés, parfois avec violence, avec grave violence ?

            En seulement quatre versets, l’évangile de Jean rassemble le Père, le Fils, et l’esprit. Il unifie le Père et le Fils, et il subordonne l’esprit au Fils uni au Père. De cette opération nous pourrions dire qu’elle est d’une subtilité toute théologique. Mais en commençant par évoquer certains débordements, parfois graves, commis au fil de l’histoire par des êtres humains se réclamant presque exclusivement de l’esprit, nous suggérons que l’enjeu de la Trinité – car il s’agit bien de cela – n’est pas, pas seulement, et peut-être pas du tout, un enjeu théologique.

            En seulement quatre versets, l’Esprit – sous sa forme Esprit de Vérité – est subordonné au Père uni au Fils. Or, dans l’évangile de Jean, le moment culminant du message est l’engagement suprême, le don de soi sans retour et sans reste. Et tout le parcours de l’évangile – pas seulement le parcours du Christ – mais aussi le parcours du disciple du Christ, est orienté vers ce don, avec la mesure du chemin parcouru, avec la mesure aussi du chemin restant à parcourir. Alors dans ces versets, comme nous les comprenons aujourd’hui, l’enjeu de la doctrine de la Trinité n’est pas – pas seulement – un enjeu théologique – et j’ose dire ‘au diable les enjeux théologiques !’ – mais aussi, d’une manière essentielle, un enjeu éthique. Ainsi cet esprit, en tant qu’Esprit de Vérité, ne parle ni de lui-même, ni pour lui-même. Il ne parle pas en sa propre faveur, mais pour dire et rappeler l’engagement de Dieu envers le monde (Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné…), et il laisse ensuite les humains prendre la mesure de leur réponse à cet engagement, c'est-à-dire la mesure de leur engagement : aimer, donner et, peut-être aimer sans reste et donner sans retour.

 

            Quel est mon engagement ? Quel est notre engagement ? Sœur et frères, puisse cet Esprit de Vérité souffler sur nous, et puisse-t-il être aussi Paraclet, Esprit de Consolation. Sœurs et frères, conduit par cet Esprit, nous avons déjà parcouru une portion de ce chemin, chacun pour lui-même et tous ensemble. Disons-le sans crainte, la route est encore longue. Amen.


samedi 7 juin 2025

Comprends-tu ? (Actes 2, extraits) Pentecôte

 Actes 2

1 Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble.

2 Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d'un violent coup de vent: la maison où ils se tenaient en fut toute remplie;

3 alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s'en posa sur chacun d'eux.

4 Ils furent tous remplis d'Esprit Saint et se mirent à parler d'autres langues, comme l'Esprit leur donnait de s'exprimer.

5 Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel.

6 À la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue.

7 Déconcertés, émerveillés, ils disaient: «Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens?

8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle?

9 Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l'Asie,

10 de la Phrygie et de la Pamphylie, de l'Égypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici,

11 tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu.»

12 Ils étaient tous déconcertés, et dans leur perplexité ils se disaient les uns aux autres: «Qu'est-ce que cela veut dire?»

13 D'autres s'esclaffaient: «Ils sont pleins de vin doux.»

 

14 Alors s'éleva la voix de Pierre, qui était là avec les Onze; il s'exprima en ces termes: «Hommes de Judée, et vous tous qui résidez à Jérusalem, comprenez bien ce qui se passe et prêtez l'oreille à mes paroles.

15 Non, ces gens n'ont pas bu comme vous le supposez: nous ne sommes en effet qu'à neuf heures du matin;

16 mais ici se réalise cette parole du prophète Joël :

« 17 Alors, dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair, vos fils et vos filles seront prophètes, vos jeunes gens auront des visions, vos vieillards auront des songes; 18 oui, sur mes serviteurs et sur mes servantes en ces jours-là je répandrai de mon Esprit et ils seront prophètes. »

 

 22 «Israélites, écoutez mes paroles: Jésus le Nazôréen, homme que Dieu avait accrédité auprès de vous en opérant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez,

 23 cet homme, selon le plan bien arrêté par Dieu dans sa prescience, vous l'avez livré et supprimé en le faisant crucifier par la main des impies;

 24 mais Dieu l'a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n'était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir.

(…) 36 «Que toute la maison d'Israël le sache donc avec certitude: Dieu l'a fait et Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous aviez crucifié.»

 37 Le cœur bouleversé d'entendre ces paroles, ils demandèrent à Pierre et aux autres apôtres: «Que ferons-nous, frères?»

 38 Pierre leur répondit: «Convertissez-vous: que chacun de vous reçoive le baptême au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés, et vous recevrez le don du Saint Esprit.

 39 Car c'est à vous qu'est destinée la promesse, et à vos enfants ainsi qu'à tous ceux qui sont au loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera.»

 

 40 Par bien d'autres paroles Pierre rendait témoignage et les encourageait: «Sauvez-vous, disait-il, de cette génération dévoyée.»

 41 Ceux qui accueillirent sa parole reçurent le baptême, et il y eut environ trois mille personnes ce jour-là qui se joignirent à eux.

Prédication : 

Je voudrais vous parler quelques instants de l’un de mes collègues – je ne vous dirai pas son nom – qui a de multiples qualités, dont l’une est, indiscutablement, la gentillesse. A une époque, nous nous téléphonions assez régulièrement, pour parler de notre ministère, des personnes avec lesquelles nous devions travailler, de nos lectures, de tout, de rien…

Ce collègue a une bonne élocution, il sait faire de belles phrases, dont on sait comment et quand elles commencent, mais dont on ne sait jamais si elles vont finir, ou comment elles peuvent finir. Pour ma part, lorsqu’il commence l’une de ces phrases, j’attends, 10 minutes au moins… Au bout d’un moment, il s’arrête. Mais tous ne sont pas avec lui aussi patient que moi. Nous étions un jour dans une réunion de pasteurs et nous avions évoqué le 8ème chapitre du livre des Actes des Apôtres.

Souvenons-nous. Dans ce chapitre, un apôtre du nom de Philippe interroge un Ethiopien qui est en train de lire le prophète Esaïe, et voici la question que lui pose Philippe : « Comprends-tu ce que tu lis ? » Comme nous méditions sur cette question, mon collègue commença une phrase sans fin et, comme cela ne finissait pas, et que ça devenait de plus en plus incompréhensible, un autre collègue l’apostropha et lui demanda : « Comprends-tu ce que tu dis ? »

Et bien, en lisant et en relisant le 2ème chapitre des Actes (Pentecôte), en méditant sur ce texte, c’est cette anecdote qui m’est revenue. La question posée à mon collègue – comprends-tu ce que tu dis ? – me semble pouvoir caractériser valablement la situation de cette première Pentecôte.

« Comprends-tu ce que tu dis ? » Imaginons que nous posions cette question aux disciples qui, ayant reçu le Saint Esprit, se mettent à parler des langues qu’ils n’ont jamais apprises. Comprennent-ils ce qu’ils disent ? Ces langues qu’ils n’ont jamais apprises, ils les ont très certainement entendues, parce qu’ils sont assidus au Temple et que le Temple attirait à lui des foules de croyants venus des quatre coins du bassin méditerranéen pour adorer Dieu. Nous savons que le cerveau humain mémorise, malgré nous, toutes sortes d’informations. Et l’Esprit Saint aidant, avec l’émotion qu’il suscite, peut entraîner parfois la résurgence de sons entendus. Mais faute d’un apprentissage réel d’une langue, on ne comprend pas. Ceux donc qui reçoivent l’Esprit Saint se mettent à dire des choses qu’ils ne comprennent pas… et que d’autres, par contre, comprennent parfaitement : « nous les entendons dans nos langues – chacun dans son propre idiome – annoncer les merveilles de Dieu ».

Nous pouvons retenir ceci de cette première étape de notre méditation : ceux qui annoncent les merveilles de Dieu annoncent (toujours ?) quelque chose qu’ils ne comprennent pas eux-mêmes.

 

Poursuivons maintenant, en considérant le discours que prononce Pierre. C’est naturellement tout autre chose que ce qui s’est passé juste avant. C’est un discours construit, c’est le discours de quelqu’un qui connaît les règles de la rhétorique, de quelqu’un qui connaît très bien les Saintes Écritures, qui a connu personnellement ce Jésus dont il parle, qui a été acteur et spectateur de l’histoire qu’il raconte ; c’est le discours de quelqu’un qui est capable de s’exprimer dans la langue véhiculaire (peut-être bien le grec), celle que comprennent tous les étrangers qui sont là, à Jérusalem, pour le pèlerinage. C’est le discours d’un homme qui sait très bien ce qu’il veut dire… et pourtant, nous allons poser de nouveau notre question du jour, nous allons la poser à Pierre lui-même : « Pierre, comprends-tu ce que tu dis ? » Bien entendu, Pierre ne va pas nous répondre ; nous allons répondre à sa place, oui, et non.

Oui, Pierre comprend ce qu’il dit. Et nous avons déjà donné tous les arguments qui étayent ce oui. Pourtant, ce oui ne nous satisfait pas, et voici pourquoi. Lorsque Pierre achève son discours, des gens sont bouleversés et demandent ce qu’ils doivent faire. Pierre leur dit quoi faire, et ils le font très exactement, en grand nombre : 3000. Nous pouvons bien évidemment nous réjouir de ce que le premier catéchisme de l’apôtre Pierre ait rencontré un tel succès. Mais ce succès tient-il seulement à Pierre ? Est-ce la science du catéchète qui mène le catéchumène à la confirmation ? La foi chrétienne peut-elle être ramenée à quelques énoncés bien construits et toujours efficaces ? Si nous répondons oui, cela signifie que la puissance de Dieu nous est acquise et nous est due, cela signifie que Dieu est notre obligé, cela signifie que Dieu n’est pas Dieu.

Alors, nous allons répondre que non ; Pierre ne comprend pas ce qu’il dit. Bien sûr, il est en mesure de raconter, de rapporter, d’expliquer. Et tout comme Pierre, les chrétiens doivent être en mesure d’expliquer ce qu’ils disent, ce qu’ils lisent, en mesure d’expliquer ce que signifient toutes les belles phrases de la liturgie. Mais la bonne nouvelle de l’amour de Dieu, la bonne nouvelle de la mort et de la résurrection de Jésus Christ est plus grande et plus profonde que nos énoncés et nos explications. Bien sûr, elle se transmet par nos énoncés et nos explications, mais elle se transmet aussi par l’attention que nous réservons à ceux qui nous interrogent, et elle se transmet mystérieusement, et essentiellement, par ce qu’il leur sera donné de comprendre, elle se transmet donc par l’action libre du Sainte Esprit.

C’est pour ces raisons que nous devons dire que Pierre ne comprend pas ce qu’il dit, même s’il le dit si bien. C’est pour ces raisons que nous ne comprenons pas non plus ce que nous disons lorsque nous confessons notre foi. Dieu est plus grand, plus profond que notre foi, plus grand et plus profond que la foi de toutes les Églises.

 

Nous n’avons pour parler de Lui que nos pauvres mots, nos célébrations, nos textes bibliques tellement diversifiés, nous avons l’attention que nous portons à nos semblables, nos actes parfois… Nous n’avons en somme presque rien.

Mais c’est avec ce presque rien qu’Il a choisi de se faire connaître. Grâces soient rendues à Dieu. Amen