samedi 22 février 2025

La position ultime (Luc 6,27-38)

Luc 6

27 «Mais je vous dis, à vous qui m'écoutez: Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent,

 28 bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient.

 29 «À qui te frappe sur une joue, présente encore l'autre. À qui te prend ton manteau, ne refuse pas non plus ta tunique.

 30 À quiconque te demande, donne, et à qui te prend ton bien, ne le réclame pas.

 31 Et comme vous voulez que les hommes agissent envers vous, agissez de même envers eux.

 32 «Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance vous en a-t-on? Car les pécheurs aussi aiment ceux qui les aiment.

 33 Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance vous en a-t-on? Les pécheurs eux-mêmes en font autant.

 34 Et si vous prêtez à ceux dont vous espérez qu'ils vous rendent, quelle reconnaissance vous en a-t-on? Même des pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu'on leur rende l'équivalent.

 35 Mais aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car il est bon, lui, pour les ingrats et les méchants.

 36 «Soyez généreux comme votre Père est généreux.

 37 Ne vous posez pas en juges et vous ne serez pas jugés, ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés, acquittez et vous serez acquittés.

 38 Donnez et on vous donnera; c'est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante qu'on vous versera dans le pan de votre vêtement, car c'est la mesure dont vous vous servez qui servira aussi de mesure pour vous.»

Prédication

             Mais il y a un mais. Et tous les enseignements possibles, ou bonnes nouvelles, que nous pourrions recueillir en méditant les versets que nous venons de lire sont suspendus à – conditionnés par – ce mais.

            Aussi pourra-t-il être intéressant que nous lisions un petit peu de ce qui précède. Ceci :

21 Heureux, vous qui avez faim maintenant: vous serez rassasiés. Heureux, vous qui pleurez maintenant: vous rirez.

 22 Heureux êtes-vous lorsque les hommes vous haïssent, lorsqu'ils vous rejettent et qu'ils insultent et proscrivent votre nom comme infâme, à cause du Fils de l'homme.

 23 Réjouissez-vous ce jour-là et bondissez de joie, car voici, votre récompense est grande dans le ciel; c'est en effet de la même manière que leurs pères traitaient les prophètes.

 24 Mais malheureux, vous les riches: vous tenez votre consolation.

 25 Malheureux, vous qui êtes repus maintenant: vous aurez faim. Malheureux, vous qui riez maintenant: vous serez dans le deuil et vous pleurerez.

 26 Malheureux êtes-vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous: c'est en effet de la même manière que leurs pères traitaient les faux prophètes.

            Ça ressemble aux Béatitudes de Matthieu, et il est vrai que certains commentateurs affirment que l’éthique de l’Évangile c’est l’éthique des Béatitudes… et il est tellement évident qu’il s’agit des Béatitudes de Matthieu qu’on en oublie que Luc a donné quelque chose qui y ressemble, mais qui n’est pas du tout la même chose. Car Luc a donné quatre déclarations commençant par heureux… et quatre phrases commençant par malheureux… Nous aurions tort de voir dans ces dernières quelque chose comme une malédiction portant sur un futur. Lorsque Jésus  prononce malheureux… il se prononce sur le présent des gens, comme s’il disait que c’est un grand malheur d’être ou de se croire être propriétaire des instruments de sa propre consolation. C’est un grand malheur que de tenir de soi-même sa propre consolation, parce que cela revient à faire d’emblée l’hypothèse d’une humanité mauvaise et incapable. Un portrait bien pessimiste : Jésus, que j’ai qualifié déjà de Messie débutant, fait un tel portrait, à l’usage peut-être de la foule qui l’entoure, et à l’usage aussi des disciples qui sont autour de lui.

            Jugeons-en : réjouissez-vous si l’on parle mal de vous, car c’est ainsi que vos pères ont traité les prophètes, et malheureux êtes-vous si l’on parle bien de vous, car c’est ainsi que vos pères ont traité les faux prophètes. Phrases bien sombres que Jésus prononce, mais nous ne sommes pas contraints de nous assombrir car, nous le savons aussi, il arrive que les humains écoutent le meilleur pour le meilleur ou se détournent du pire, ou encore choisissent des répondre absurdement à des provocations réelles.

 

            Et nous revenons au mais par lequel nous avons commencé. Ce mais signale que les Béatitudes et les "Mal-titudes" de Luc ne sont qu’un commencement, qui peut et doit être dépassé. Il est recommandé que ce soit un dépassement pratique. Celui, par exemple, d’aimer vos ennemis et de faire du bien à ceux qui vous haïssent, aimer, dans ce contexte n’est pas un sentiment mais un engagement concret, comme dans le Lévitique (19,18). Et donc cela se passe encore au présent, c'est-à-dire dans une situation concrète, sans qu’il y ait de si – nous avons parlé du conditionnel si il y a quelques semaines. Nous n’allons pas le relire une fois encore, mais nous souvenir que, pendant quelque 8 versets, il y a prélude et fugue sur l’engagement gratuit (27-35). Et nous nous demandons si nous serons un jour capables de cet engagement et de cette générosité. Nous trouvons même sans doute que ça va trop loin, et qu’il nous faudrait au moins une petite certitude si ce n’est dans l’ici-bas du moins dans l’au-delà. Nous aimerions bien savoir en somme si nous serons récompensés pour notre engagement et nos efforts.

            Quelle est la réponse de Jésus ? Qu’à force de persister dans la bonté et dans l’amour on trouve – on reçoit – comme une forme de bonne rétribution, aucunement contractuelle, purement donnée et reçue comme le salaire du travailleur inutile dont Luc est, une fois encore, le seul à en parler. Et cela vient comme une certitude puissante, mais modeste, qui produit de nouveau ce qui l’a engendré. Comme nous pourrions le dire : persister dans la bonté engendre une persistance dans la bonté qui est à la fois son origine et son accomplissement.

 

            Mais jusqu’à quel point ? Combien de temps, et combien de fois ? Jusqu’à ce que "Dieu est bon pour les ingrats et les méchants" soit la mesure du temps et de l’actualité de l’amour. C’est Matthieu qui le dit le mieux, "Dieu fait lever le soleil sur les bons et sur les méchants" Jusqu’à quel s’en tenir à l’engagement presque extrême que Jésus recommande ? Jusqu’au point du temps présent où non seulement nous renonçons à savoir qui sont, au fond, ceux avec qui nous sommes en relations, d’amitiés, ou de diaconie, et jusqu’au point où nous remettons toutes choses à Dieu qui sait, lui, qui est qui.

 

            Dans ce verset central s’exprime une position ultime que nous ne pouvons pas tenir. C’est peut-être bien un lieu pour y passer, passer comme en extase par là ou bons ou méchants, hommes et Dieu, ne peuvent plus être distingués l’un de l’autre. Un lieu qu’il nous faut vite quitter parce que nous sommes humains.

            Et la quête de quelque chose de juste va alors recommencer. Soyez compatissants comme votre Père est compatissant. (…) Donnez et on vous donnera ; (…) car c’est la mesure dont vous vous servez qui servira aussi de mesure pour vous." Amen

samedi 15 février 2025

Le kérygme, cœur de la foi chrétienne (1 Corinthiens 15,12-20)

 1 Corinthiens 15

12 Si l'on proclame que Christ est ressuscité des morts, comment certains d'entre vous disent-ils qu'il n'y a pas de résurrection des morts?

 13 S'il n'y a pas de résurrection des morts, Christ non plus n'est pas ressuscité,

 14 et si Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est vide, et vide aussi votre foi.

 15 Il se trouve même que nous sommes de faux témoins de Dieu, car nous avons porté un contre-témoignage en affirmant que Dieu a ressuscité le Christ alors qu'il ne l'a pas ressuscité, s'il est vrai que les morts ne ressuscitent pas.

 16 Si les morts ne ressuscitent pas, Christ non plus n'est pas ressuscité.

 17 Et si Christ n'est pas ressuscité, votre foi est illusoire, vous êtes encore dans vos péchés.

 18 Dès lors, même ceux qui sont morts en Christ sont perdus.

 19 Si nous avons mis notre espérance en Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes.

 20 Mais non; Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui sont morts.


Prédication : 

            Je voudrais me souvenir avec vous d’une longue énumération que Paul fait des apparitions du Christ après sa résurrection. C’est dans la première aux Corinthiens, au quinzième chapitre. « …il a été ressuscité le troisième jour, conformément aux Écritures, et il est apparu à Pierre, (…) à plus de cinq cent frères en même temps, dont la plupart vivent encore maintenant, tandis que certains parmi eux sont morts… », c’est juste avant les versets que nous avons lus à l’instant.

            Et nous allons retenir ceci : lorsque Paul écrit aux Corinthiens, vers l’an 55, il existe encore des témoins vivants de ces apparitions – Paul en est un, le dernier, le moindre, comme il le dira de lui-même.

            En face de gens qui pourraient dire le oui et le non, il y en a qui peuvent dire je l’ai vu de mes yeux. Sans d’ailleurs en retirer forcément une autorité particulière.

           

            La situation des hommes de ce temps diffère de la nôtre : car pour nous les apparitions du Ressuscité relèvent de l’acte de foi, de la réflexion et de l’interprétation. C’est un peu comme Dieu, nul ne l’a jamais vu, mais Jésus nous l’a fait connaître, transformé en Christ ressuscité, nul ne l’a jamais vu, mais Paul nous l’a fait connaitre (pour les évangiles, qui viennent après Paul, il faut dire autre chose, ce qui pourrait être l’occasion d’un autre sermon).

            Notre situation donc, est d’être devant notre texte, devant aussi les confessions de foi de notre Eglise, et de chercher une signification à tout ça, c'est-à-dire, le plus difficile, à la résurrection.

 

            Dans ma situation, et c’était le milieu des années 70, j’entendais assez souvent, pendant la prédication, le mot kérygme. Lorsque des mots de ce genre apparaissent dans la bouche des prédicateurs, c’est qu’il y a un sujet universitaire qui, pertinent ou pas, infiltre pendant quelques temps le langage de la prédication. Kérygme, on ne l’entend plus du tout aujourd’hui. Suivant les périodes, on entendit parler du courage d’être, des ellipses à deux foyer – toutes les ellipses ont deux foyers, du savoir être, et j’en passe. Ces mots ayant une sorte de fonction d’autorité conclusive. Ils achèvent la réflexion, ils finissent la discussion.

            Kérygme, ça vient d’un verbe grec qui signifie proclamer. Ça n’est pas la longue réflexion de l’étude ni le côté construit de la prédication et de la confession de foi, c’est plutôt un cri, une phrase, c’est incisif, et bref. C’est une exclamation.

            Quel est donc le kérygme de la foi chrétienne ?

 

            La question de la résurrection des morts n’était probablement pas une question réservée aux chrétiens. Par exemple, après la mort de l’Empereur Néron (68), il y eut des gens, justement en Grèce et plus à l’est encore, des gens pour proclamer sa résurrection, il y eut de véritables mythologies de la résurrection de Néron. Mais c’était un empereur, et nous pouvons penser que des gens plus simples que des empereurs ont été pleurés, et espérés ressuscités par leurs survivants. En ce temps-là donc, les morts ressuscitent. Quand et comment, nous n’avons pas de précisions, sauf que ce peut être d’une manière visible : ils apparaissent. Et il y a là quelque chose de massif, de certain, quoique la chose soit discutée par d’autres.

             

            Christ est ressuscité, tel est le kérygme de la foi chrétienne. Il y en a qui contestent. Le motif de la résurrection du Christ est, pour Paul, que tous les humains ressuscitent. La démonstration est très simple, par l’absurde. Si donc les morts ressuscitent, vu que Christ est homme, mort, il ressuscite. C’est ultra simplissime. Reste juste à s’expliquer sur le fait que, s’agissant des morts, au temps de Paul, en notre temps, nous n’en avons jamais rencontré qui soient sortis de leurs cercueils. Paul se sort de cette ornière en affirmation que Jésus est ressuscité des morts, premier de tous les morts à être ressuscité, tous les autres morts devant ressusciter dans un certain futur.

              Mais toute cette démonstration par l’absurde est pour elle-même sans véritable intérêt. Car il s’agit du kérygme de la foi chrétienne, et pas d’une leçon de chose. La proclamation la plus centrale, le cœur battant de la foi chrétienne, ne souffre aucun effort de démonstration, elle est d’une autre nature. Elle se proclame et elle se voit. Et même lorsque tous les témoins des apparitions du Christ ressuscité ont disparu, la proclamation demeure. Elle demeure, par la parole des témoins et des témoins des témoins, elle demeure aussi dans le texte qui la soutient lorsqu’elle est lue et qu’elle devient résurrection.

            Le kérygme donc, la proclamation centrale de la foi chrétienne, met en route une espérance là où il semble qu’il n’y ait pourtant aucune espérance possible.

            Ce peut être dans la vie de communautés fatiguées. Ce peut être dans la vie des endeuillés. Et apparaît alors quelque chose à quoi s’attachent une nouvelle ouverture et un nouvel élan.

 

            Et Paul vient donc là proclamer qu’au cœur de la foi chrétienne il y a la proclamation que Christ est ressuscité et que cette proclamation nourrit une espérance qui ne peut pas faillir. Amen 

samedi 8 février 2025

Si... (1 Corinthiens 15,1-11)

1 Corinthiens 15TOB

1 Je vous rappelle, frères, l'Évangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu, auquel vous restez attachés,

 2 et par lequel vous serez (êtes) sauvés si vous le retenez tel que je vous l'ai annoncé; autrement, vous auriez cru en vain.

 3 Je vous ai transmis en premier lieu ce que j'avais reçu moi-même: Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures.

 4 Il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures.

 5 Il est apparu à Céphas, puis aux Douze.

 6 Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois; la plupart sont encore vivants et quelques-uns sont morts.

 7 Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres.

 8 En tout dernier lieu, il m'est aussi apparu, à moi l'avorton.

 9 Car je suis le plus petit des apôtres, moi qui ne suis pas digne d'être appelé apôtre parce que j'ai persécuté l'Église de Dieu.

 10 Mais ce que je suis, je le dois à la grâce de Dieu et sa grâce à mon égard n'a pas été vaine. Au contraire, j'ai travaillé plus qu'eux tous: non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi.

 11 Bref, que ce soit moi, que ce soit eux, voilà ce que nous proclamons et voilà ce que vous avez cru.

 

Prédication :

            Je ne sais pas si vous avez remarqué, nous avons modifié l’ordre de lecture des textes bibliques. C’est un peu  pour dire que l’ordre de lecture de ces textes dans notre culte n’a rien de canonique, c’est aussi et surtout pour essayer de nous souvenir quelques instant de plus d’un petit mot rencontré dans la lecture des Corinthiens, un petit mot de deux lettres qui est bien embarrassant dans le verset 2, et ce petit mot c’est si. Voici le verset en question – il faut lire 1 et 2 : (TOB)" 1 Je vous rappelle, frères, l'Évangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu, auquel vous restez attachés, 2 et par lequel vous serez sauvés si vous le retenez tel que je vous l'ai annoncé; autrement, vous auriez cru en vain."

            Première remarque, le traducteur propose vous serez sauvés si… mais le verbe n’est pas au futur. La question du salut n’est pas pour Paul une question sur le futur, mais sur le présent donc vous êtes sauvés si… le verbe est au présent.

            Deuxième remarque, le texte signifie que vous n’êtes sauvés que si vous retenez l’Évangile, question de mémoire peut-être, ou encore vous n’êtes sauvés que si vous vous en tenez totalement et exclusivement à l’Évangile. Mais quel Évangile ?

            Troisième remarque, quel Évangile ? Nous pouvons penser – et le texte nous y porte, qu’il n’y a qu’un seul Évangile. Il n’y en qu’un seul, nous pouvons souscrire, mais il semble que du temps de Paul il y en ait eu plusieurs, disons plusieurs textes circulaient qui se prétendaient, et plusieurs personnes pour soutenir plusieurs textes. Et là-dessus, Paul se prononce : un seul témoin est le bon : le sien. Bon, cela signifie le salut maintenant et sans délais pour quiconque croit… mais croit quoi ? Nous allons trop vite.

            3ème bis : Un seul texte est le bon selon Paul, et si l’on se cramponne à ce texte (si vous le retenez, si vous vous en tenez à lui), alors c’est comme ça qu’on est sauvés. Alors voilà le texte de nouveau (s’il faut s’y tenir) " 3 Je vous ai transmis en premier lieu ce que j'avais reçu moi-même: Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures. 4 Il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures."

            Premier témoignage de l’Évangile, scripturaire, et les Écritures sont donc unanimes, selon Paul, pour affirmer la Résurrection. Mais où le lit-on dans le Premier Testament ? Ce qui fait que le premier témoignage de l’Évangile ne peut faire l’économie d’une étude sérieuse et d’une méditation profonde des Écritures. Croire ? Croire, c’est étudier, croire, c’est méditer.

            3ème ter : Mais ça n’est pas tout, car il vient ceci : (Jésus) " 5 Il est apparu à Céphas, puis aux Douze. 6 Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois; la plupart sont encore vivants et quelques-uns sont morts. 7 Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. 8 En tout dernier lieu, il m'est aussi apparu, à moi l'avorton. …" Croire donc c’est croire la Résurrection, croire le témoignage des témoins des apparitions comme si ces témoignages faisaient partie des Saintes Écritures. Le geste de Paul est bien ajusté, si judicieusement pensé, qu’il ne va pas laisser le moindre espace à ceux qui affirmeraient l’avoir vu et que ça leur vaut autorité. En somme, il n’y a pas de spectateurs de la Résurrection, il n’y en a que des témoins. Et la Résurrection, en tant que sainte écriture, s’étudie et se médite,

            Quatrième remarque : Pourquoi être sauvé suppose-t-il qu’on s’en tienne à Paul et à sa manière ? Nous avons effleuré déjà la réponse. Paul, résumant tout son message au témoignage des Saintes Écritures et au témoignage de témoins de la Résurrection, le résume à deux choses, deux pôles qui n’appartiennent à personne, ou encore à deux antagonistes : la continuité pour le texte biblique, et la singularité pour le spectateur de la Résurrection :

            4ème bis : Et sauvé de quoi ? Ceux qui ne sont propriétaire de rien sont, si l’on veut, libres comme l’air. Propriétaires de rien ni de personne. Et alors, l’Évangile selon Paul aux Corinthiens serait un Évangile de la liberté, et d’amour.

 

            Mais tout cela sous une clause que nous avons lue et déjà rappelée. La voici une fois encore : " 1 Je vous rappelle, frères, l'Évangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu, auquel vous restez attachés, 2 et par lequel vous êtes sauvés si vous le retenez tel que je vous l'ai annoncé; autrement, vous auriez cru en vain."

            Ce salut donc, même s’il est en quelque manière toujours donné et reçu par grâce, est toujours menacé, et doit être entretenu. Ça fait un peu bizarre, de dire qu’il faut un entretien du salut. Ça sonne un peu comme si le salut était un véhicule, ou comme s’il était totalement l’être humain, cette machine humaine totalement concrète et totalement dans le monde, en somme soi-même qui serait perpétuellement menacé d’une dérive consumériste, et qu’il faudrait sauver de la gloutonnerie, spirituelles. Parce que si le salut de notre âme immortelle relève de la puissance du Dieu créateur, le salut de nos personnes relève bien – selon Paul – de nous-mêmes. Amen

samedi 1 février 2025

Evangile et figure de style (Luc 2,22-40)

Luc 2 

22 Puis quand vint le jour où, suivant la loi de Moïse, ils devaient être purifiés, ils l'amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur

 23 - ainsi qu'il est écrit dans la loi du Seigneur: Tout garçon premier-né sera consacré au Seigneur -

 24 et pour offrir en sacrifice, suivant ce qui est dit dans la loi du Seigneur, un couple de tourterelles ou deux petits pigeons.

 25 Or, il y avait à Jérusalem un homme du nom de Syméon. Cet homme était juste et pieux, il attendait la consolation d'Israël et l'Esprit Saint était sur lui.

 26 Il lui avait été révélé par l'Esprit Saint qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Christ du Seigneur.

 27 Il vint alors au temple poussé par l'Esprit; et quand les parents de l'enfant Jésus l'amenèrent pour faire ce que la Loi prescrivait à son sujet,

 28 il le prit dans ses bras et il bénit Dieu en ces termes:

 29 «Maintenant, Maître, c'est en paix, comme tu l'as dit, que tu renvoies ton serviteur.

 30 Car mes yeux ont vu ton salut,

 31 que tu as préparé face à tous les peuples:

 32 lumière pour la révélation aux païens et gloire d'Israël ton peuple.»

 33 Le père et la mère de l'enfant étaient étonnés de ce qu'on disait de lui.

 34 Syméon les bénit et dit à Marie sa mère: «Il est là pour la chute ou le relèvement de beaucoup en Israël et pour être un signe contesté

 35 - et toi-même, un glaive te transpercera l'âme; ainsi seront dévoilés les débats de bien des coeurs.»

 36 Il y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d'Aser. Elle était fort avancée en âge; après avoir vécu sept ans avec son mari,

 37 elle était restée veuve et avait atteint l'âge de quatre-vingt-quatre ans. Elle ne s'écartait pas du temple, participant au culte nuit et jour par des jeûnes et des prières.

 38 Survenant au même moment, elle se mit à célébrer Dieu et à parler de l'enfant à tous ceux qui attendaient la libération de Jérusalem.

 39 Lorsqu'ils eurent accompli tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.

 40 Quant à l'enfant, il grandissait et se fortifiait, tout rempli de sagesse, et la faveur de Dieu était sur lui.

Prédication

            Je me souviens d’un rendez-vous que j’avais eu avec une professeure de français qui comptait l’un de mes fils parmi ses élèves. Il y avait quelque chose qui n’allait pas entre elle et mon fils, ou peut-être était elle prof. principale, je ne me souviens pas. Mais je me souviens très bien qu’à un moment elle s’était mise à protester sur l’évolution de son métier : « on nous demandera bientôt juste de compter les figures de style dans des textes sans intérêt. » C’était une sorte de cri du cœur. A la suite duquel nous avions discuté encore un moment, notamment de l’œuvre d’Albert Cohen, réunis par une même passion de cet auteur.

            Figures de style. Nous n’en faisons pas le décompte dans nos textes bibliques, qui sont passionnément intéressants. L’une de ces figures y est un peu fréquente, le chiasme. Exemple de chiasme : bonnet blanc et blanc bonnet. Ce sont les mêmes mots qui apparaissent, dans un ordre différent, ce qui en modifie un peu le sens, et il y a aussi ce petit et qui signale que quelque-chose se passe.

            Luc 2,22-40 est construit comme un chiasme, un peu plus touffu que notre premier exemple. Et il répond à une question touffue qui peut être énoncée ainsi : la présence du messie, ou l’évangile – c’est la même chose – qu’est-ce que c’est, ou qu’est-ce que ça change ?

 

1.     L’ordinaire des jours :

            Ça commence comme ça dans l’ordinaire des jours. Avec le culte rendu a Dieu qui, au 40ème jour après la naissance, réclame un sacrifice de purification. On monte donc tout banalement à Jérusalem pour faire ce qui doit être fait.

2.     Syméon :

            Il n’y a rien d’étonnant non plus à ce que, dans les environs du Temple, se trouve un homme ayant reçu une sorte de promesse privée. Cet homme étant juste et pieux il n’y a rien d’étonnant qu’il soit oint par le Saint Esprit et qu’il bénisse ainsi l’enfant. On repèrera que sa bénédiction est une bénédiction privée, entre lui et le bébé Jésus. Mais rien de bien original dans cette bénédiction qui est celle d’un homme qu’on suppose toujours très âgé et qui voit soudain dans un petit enfant le signe de l’accomplissement de son espérance. Les personnes très âgées sont capables de ça, et de vous mettre avec ça très mal à l’aise. Que les parents s’étonnent n’a rien d’étonnant, c’est un euphémisme – et ça va aller plus fort.

3.     Étonnement :

            Syméon les bénit, rien d’étonnement, mais ce qu’il leur déclare ensuite : (a) que cet enfant est là pour la chute ou de relèvement… comme le rendent les traducteurs français, alors qu’il est là pour la chute et le relèvement de beaucoup, étonnant énoncé qui indique que chute et relèvement peut cohabiter dans un même esprit, passant de l’un à l’autre, (b)  il est là aussi pour être un signe contesté, et discuté, et même objet de dispute voire de grave querelle, (c) et pour Marie seulement – et pourquoi pas aussi le père de l’enfant – un glaive – mais qui tient donc ce glaive ? – te transpercera l’âme – et pourquoi pas le corps ? La phrase de Syméon qui suit sa bénédiction est le point culminant de l’étonnement. Pourquoi, pourquoi et pourquoi ? Est-ce un programme évangélique ? C’est en tout cas,  nous l’avons déjà dit, un chamboulement, et surtout c’est le point de redescente de la figure de style : les presque même éléments, mais changés.       

4.     Anne

            Anne en lieu et place de Syméon, une femme prophétesse, elle fait un boulot d’homme : prophétiser. Elle n’est pas cautionnée par un homme, puisqu’elle est veuve. Elle œuvre dans un lieu plutôt réservé aux hommes : le temple. Elle appartient à la tribu d’Aser, étonnant, cette tribu a disparu depuis 7 siècles. Elle n’est pas assistée par le Saint Esprit, elle s’en passe. Et plus ambitieuse que Syméon qui attend la consolation d’Israël, elle parle pour ceux qui attendent la libération de Jérusalem. Et enfin, synthèse, tout ce qui pourrait la disqualifier la qualifie pourtant, pendant que tout ce qui qualifie Syméon se trouve relativisé par la reconnaissance de l’action de cette femme.  

5.     A la fin

            L’épisode s’achève comme il a commencé, dans l’ordinaire des jours, « ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth », et le petit grandissait… il faut du temps pour faire un homme.

 

            Qu’avons-nous appris de l’Évangile ? Au contact de cette figure de style…

            Il est ce point de passage, et point de rupture, par lequel passent les énoncés reçus, les énoncés usés, propulsés par ces forces anciennes qui à la fois s’exténuent et se renouvellent.

            Il est le point de passage et de rupture auquel les êtres humains évaluent les chemins qu’ils ont déjà parcourus, se laissent déstabiliser et rééquilibrer, et c’est qu’ils envisagent de nouveaux chemins.

            L’advenue de l’Évangile est préparée en général par des rituels reconnus, servis par des personnes qualifiées, jusqu’à ce que des personnes inattendues se manifestent. L’Évangile, rapport à ces dernières, est l’inattendu de l’inattendu apporté par des personnes pas nécessairement qualifiées ou réputées.

           

            Et bien entendu, l’Évangile arrive et arrivera toujours même si le processus de sa venue n’est pas élucidé. Autrement dit, l’Évangile nous requiert, mais n’a pas vraiment besoin de nous. Amen