samedi 8 février 2025

Si... (1 Corinthiens 15,1-11)

1 Corinthiens 15TOB

1 Je vous rappelle, frères, l'Évangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu, auquel vous restez attachés,

 2 et par lequel vous serez (êtes) sauvés si vous le retenez tel que je vous l'ai annoncé; autrement, vous auriez cru en vain.

 3 Je vous ai transmis en premier lieu ce que j'avais reçu moi-même: Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures.

 4 Il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures.

 5 Il est apparu à Céphas, puis aux Douze.

 6 Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois; la plupart sont encore vivants et quelques-uns sont morts.

 7 Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres.

 8 En tout dernier lieu, il m'est aussi apparu, à moi l'avorton.

 9 Car je suis le plus petit des apôtres, moi qui ne suis pas digne d'être appelé apôtre parce que j'ai persécuté l'Église de Dieu.

 10 Mais ce que je suis, je le dois à la grâce de Dieu et sa grâce à mon égard n'a pas été vaine. Au contraire, j'ai travaillé plus qu'eux tous: non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi.

 11 Bref, que ce soit moi, que ce soit eux, voilà ce que nous proclamons et voilà ce que vous avez cru.

 

Prédication :

            Je ne sais pas si vous avez remarqué, nous avons modifié l’ordre de lecture des textes bibliques. C’est un peu  pour dire que l’ordre de lecture de ces textes dans notre culte n’a rien de canonique, c’est aussi et surtout pour essayer de nous souvenir quelques instant de plus d’un petit mot rencontré dans la lecture des Corinthiens, un petit mot de deux lettres qui est bien embarrassant dans le verset 2, et ce petit mot c’est si. Voici le verset en question – il faut lire 1 et 2 : (TOB)" 1 Je vous rappelle, frères, l'Évangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu, auquel vous restez attachés, 2 et par lequel vous serez sauvés si vous le retenez tel que je vous l'ai annoncé; autrement, vous auriez cru en vain."

            Première remarque, le traducteur propose vous serez sauvés si… mais le verbe n’est pas au futur. La question du salut n’est pas pour Paul une question sur le futur, mais sur le présent donc vous êtes sauvés si… le verbe est au présent.

            Deuxième remarque, le texte signifie que vous n’êtes sauvés que si vous retenez l’Évangile, question de mémoire peut-être, ou encore vous n’êtres sauvés que si vous vous en tenez totalement et exclusivement à l’Évangile. Mais quel Évangile ?

            Troisième remarque, quel Évangile ? Nous pouvons penser – et le texte nous y porte, qu’il n’y a qu’un seul Évangile. Il n’y en qu’un seul, nous pouvons souscrire, mais semble que du temps de Paul il y en ait eu plusieurs, disons plusieurs textes circulaient qui se prétendaient, et plusieurs personnes pour soutenir plusieurs textes. Et là-dessus, Paul se prononce : un seul témoin est le bon : le sien. Bon, cela signifie le salut maintenant et sans délais pour quiconque croit… mais croit quoi ? Nous allons trop vite.

            3ème bis : Un seul texte est le bon selon Paul, et si l’on se cramponne à ce texte (si vous le retenez, si vous vous en tenez à lui), alors c’est comme ça qu’on est sauvés. Alors voilà le texte de nouveau (s’il faut s’y tenir) " 3 Je vous ai transmis en premier lieu ce que j'avais reçu moi-même: Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures. 4 Il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures."

Premier témoignage de l’Évangile, scripturaire, et les Écritures sont donc unanimes, selon Paul, pour affirmer la Résurrection. Mais où le lit-on dans le Premier Testament ? Ce qui fait que le premier témoignage de l’Évangile ne peut faire l’économie d’une étude sérieuse et d’une méditation profonde des Écritures. Croire ? Croire, c’est étudier, croire, c’est méditer.

            3ème ter : Mais ça n’est pas tout, car il vient ceci : (Jésus) " 5 Il est apparu à Céphas, puis aux Douze. 6 Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois; la plupart sont encore vivants et quelques-uns sont morts. 7 Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. 8 En tout dernier lieu, il m'est aussi apparu, à moi l'avorton. …" Croire donc c’est croire la Résurrection, croire le témoignage des témoins des apparitions comme si ces témoignages faisaient partie des Saintes Écritures. Et geste de Paul est bien ajusté, si judicieusement pensé, qu’il ne va pas laisser le moindre espace à ceux qui affirmeraient l’avoir vu et que ça leur vaut autorité. En somme, il n’y a pas de spectateurs de la Résurrection, il n’y en a que des témoins. Et la Résurrection, en tant que sainte écriture, s’étudie et se médite,

            Quatrième remarque : Pourquoi être sauvé suppose-t-il qu’on s’en tienne à Paul et à sa manière ? Nous avons effleuré déjà la réponse. Paul, résumant tout son message au témoignage des Saintes Écritures et au témoignage de témoins de la Résurrection, le résume à deux choses, deux pôles qui n’appartiennent à personne, ou encore à deux antagonistes : la continuité pour le texte biblique, et la singularité pour le spectateur de la Résurrection :

            4ème bis : Et sauvé de quoi ? Ceux qui ne sont propriétaire de rien sont, si l’on veut, libres comme l’air. Propriétaires de rien ni de personne. Et alors, l’Évangile selon Paul aux Corinthiens serait un Évangile de la liberté, et d’amour.

 

            Mais tout cela sous une clause que nous avons lue et déjà rappelée. La voici une fois encore : " 1 Je vous rappelle, frères, l'Évangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu, auquel vous restez attachés, 2 et par lequel vous êtes sauvés si vous le retenez tel que je vous l'ai annoncé; autrement, vous auriez cru en vain."

            Ce salut donc, même s’il est en quelque manière toujours donné et reçu par grâce, est toujours menacé, et doit être entretenu. Ça fait un peu bizarre, de dire qu’il faut un entretien du salut. Ça sonne un peu comme si le salut était un véhicule, ou comme s’il était totalement l’être humain, cette machine humaine totalement concrète et totalement dans le monde, en somme soi-même qui serait perpétuellement menacé d’une dérive consumériste, et qu’il faudrait sauver de la gloutonnerie, spirituelles. Parce que si le salut de notre âme immortelle relève de la puissance du Dieu créateur, le salut de nos personnes relève bien – selon Paul – de nous-mêmes. Amen

 


samedi 1 février 2025

Evangile et figure de style (Luc 2,22-40)

Luc 2 

22 Puis quand vint le jour où, suivant la loi de Moïse, ils devaient être purifiés, ils l'amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur

 23 - ainsi qu'il est écrit dans la loi du Seigneur: Tout garçon premier-né sera consacré au Seigneur -

 24 et pour offrir en sacrifice, suivant ce qui est dit dans la loi du Seigneur, un couple de tourterelles ou deux petits pigeons.

 25 Or, il y avait à Jérusalem un homme du nom de Syméon. Cet homme était juste et pieux, il attendait la consolation d'Israël et l'Esprit Saint était sur lui.

 26 Il lui avait été révélé par l'Esprit Saint qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Christ du Seigneur.

 27 Il vint alors au temple poussé par l'Esprit; et quand les parents de l'enfant Jésus l'amenèrent pour faire ce que la Loi prescrivait à son sujet,

 28 il le prit dans ses bras et il bénit Dieu en ces termes:

 29 «Maintenant, Maître, c'est en paix, comme tu l'as dit, que tu renvoies ton serviteur.

 30 Car mes yeux ont vu ton salut,

 31 que tu as préparé face à tous les peuples:

 32 lumière pour la révélation aux païens et gloire d'Israël ton peuple.»

 33 Le père et la mère de l'enfant étaient étonnés de ce qu'on disait de lui.

 34 Syméon les bénit et dit à Marie sa mère: «Il est là pour la chute ou le relèvement de beaucoup en Israël et pour être un signe contesté

 35 - et toi-même, un glaive te transpercera l'âme; ainsi seront dévoilés les débats de bien des coeurs.»

 36 Il y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d'Aser. Elle était fort avancée en âge; après avoir vécu sept ans avec son mari,

 37 elle était restée veuve et avait atteint l'âge de quatre-vingt-quatre ans. Elle ne s'écartait pas du temple, participant au culte nuit et jour par des jeûnes et des prières.

 38 Survenant au même moment, elle se mit à célébrer Dieu et à parler de l'enfant à tous ceux qui attendaient la libération de Jérusalem.

 39 Lorsqu'ils eurent accompli tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.

 40 Quant à l'enfant, il grandissait et se fortifiait, tout rempli de sagesse, et la faveur de Dieu était sur lui.

Prédication

            Je me souviens d’un rendez-vous que j’avais eu avec une professeure de français qui comptait l’un de mes fils parmi ses élèves. Il y avait quelque chose qui n’allait pas entre elle et mon fils, ou peut-être était elle prof. principale, je ne me souviens pas. Mais je me souviens très bien qu’à un moment elle s’était mise à protester sur l’évolution de son métier : « on nous demandera bientôt juste de compter les figures de style dans des textes sans intérêt. » C’était une sorte de cri du cœur. A la suite duquel nous avions discuté encore un moment, notamment de l’œuvre d’Albert Cohen, réunis par une même passion de cet auteur.

            Figures de style. Nous n’en faisons pas le décompte dans nos textes bibliques, qui sont passionnément intéressants. L’une de ces figures y est un peu fréquente, le chiasme. Exemple de chiasme : bonnet blanc et blanc bonnet. Ce sont les mêmes mots qui apparaissent, dans un ordre différent, ce qui en modifie un peu le sens, et il y a aussi ce petit et qui signale que quelque-chose se passe.

            Luc 2,22-40 est construit comme un chiasme, un peu plus touffu que notre premier exemple. Et il répond à une question touffue qui peut être énoncée ainsi : la présence du messie, ou l’évangile – c’est la même chose – qu’est-ce que c’est, ou qu’est-ce que ça change ?

 

1.     L’ordinaire des jours :

            Ça commence comme ça dans l’ordinaire des jours. Avec le culte rendu a Dieu qui, au 40ème jour après la naissance, réclame un sacrifice de purification. On monte donc tout banalement à Jérusalem pour faire ce qui doit être fait.

2.     Syméon :

            Il n’y a rien d’étonnant non plus à ce que, dans les environs du Temple, se trouve un homme ayant reçu une sorte de promesse privée. Cet homme étant juste et pieux il n’y a rien d’étonnant qu’il soit oint par le Saint Esprit et qu’il bénisse ainsi l’enfant. On repèrera que sa bénédiction est une bénédiction privée, entre lui et le bébé Jésus. Mais rien de bien original dans cette bénédiction qui est celle d’un homme qu’on suppose toujours très âgé et qui voit soudain dans un petit enfant le signe de l’accomplissement de son espérance. Les personnes très âgées sont capables de ça, et de vous mettre avec ça très mal à l’aise. Que les parents s’étonnent n’a rien d’étonnant, c’est un euphémisme – et ça va aller plus fort.

3.     Étonnement :

            Syméon les bénit, rien d’étonnement, mais ce qu’il leur déclare ensuite : (a) que cet enfant est là pour la chute ou de relèvement… comme le rendent les traducteurs français, alors qu’il est là pour la chute et le relèvement de beaucoup, étonnant énoncé qui indique que chute et relèvement peut cohabiter dans un même esprit, passant de l’un à l’autre, (b)  il est là aussi pour être un signe contesté, et discuté, et même objet de dispute voire de grave querelle, (c) et pour Marie seulement – et pourquoi pas aussi le père de l’enfant – un glaive – mais qui tient donc ce glaive ? – te transpercera l’âme – et pourquoi pas le corps ? La phrase de Syméon qui suit sa bénédiction est le point culminant de l’étonnement. Pourquoi, pourquoi et pourquoi ? Est-ce un programme évangélique ? C’est en tout cas,  nous l’avons déjà dit, un chamboulement, et surtout c’est le point de redescente de la figure de style : les presque même éléments, mais changés.       

4.     Anne

            Anne en lieu et place de Syméon, une femme prophétesse, elle fait un boulot d’homme : prophétiser. Elle n’est pas cautionnée par un homme, puisqu’elle est veuve. Elle œuvre dans un lieu plutôt réservé aux hommes : le temple. Elle appartient à la tribu d’Aser, étonnant, cette tribu a disparu depuis 7 siècles. Elle n’est pas assistée par le Saint Esprit, elle s’en passe. Et plus ambitieuse que Syméon qui attend la consolation d’Israël, elle parle pour ceux qui attendent la libération de Jérusalem. Et enfin, synthèse, tout ce qui pourrait la disqualifier la qualifie pourtant, pendant que tout ce qui qualifie Syméon se trouve relativisé par la reconnaissance de l’action de cette femme.  

5.     A la fin

            L’épisode s’achève comme il a commencé, dans l’ordinaire des jours, « ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth », et le petit grandissait… il faut du temps pour faire un homme.

 

            Qu’avons-nous appris de l’Évangile ? Au contact de cette figure de style…

            Il est ce point de passage, et point de rupture, par lequel passent les énoncés reçus, les énoncés usés, propulsés par ces forces anciennes qui à la fois s’exténuent et se renouvellent.

            Il est le point de passage et de rupture auquel les êtres humains évaluent les chemins qu’ils ont déjà parcourus, se laissent déstabiliser et rééquilibrer, et c’est qu’ils envisagent de nouveaux chemins.

            L’advenue de l’Évangile est préparée en général par des rituels reconnus, servis par des personnes qualifiées, jusqu’à ce que des personnes inattendues se manifestent. L’Évangile, rapport à ces dernières, est l’inattendu de l’inattendu apporté par des personnes pas nécessairement qualifiées ou réputées.

           

            Et bien entendu, l’Évangile arrive et arrivera toujours même si le processus de sa venue n’est pas élucidé. Autrement dit, l’Évangile nous requiert, mais n’a pas vraiment besoin de nous. Amen