samedi 18 mai 2024

Pentecôte, peut-être (Actes 2,1-41)

Actes 2,1-41

1 Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble.

2 Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d'un violent coup de vent: la maison où ils se tenaient en fut toute remplie;

3 alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s'en posa sur chacun d'eux.

4 Ils furent tous remplis d'Esprit Saint et se mirent à parler d'autres langues, comme l'Esprit leur donnait de s'exprimer.

5 Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel.

6 À la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue.

7 Déconcertés, émerveillés, ils disaient: «Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens?

8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle?

9 Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l'Asie,

10 de la Phrygie et de la Pamphylie, de l'Égypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici,

11 tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu.»

12 Ils étaient tous déconcertés, et dans leur perplexité ils se disaient les uns aux autres: «Qu'est-ce que cela veut dire?»

13 D'autres s'esclaffaient: «Ils sont pleins de vin doux.»

14 Alors s'éleva la voix de Pierre, qui était là avec les Onze; il s'exprima en ces termes: «Hommes de Judée, et vous tous qui résidez à Jérusalem, comprenez bien ce qui se passe et prêtez l'oreille à mes paroles.

15 Non, ces gens n'ont pas bu comme vous le supposez: nous ne sommes en effet qu'à neuf heures du matin;

16 mais ici se réalise cette parole du prophète Joël:

17 Alors, dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair, vos fils et vos filles seront prophètes, vos jeunes gens auront des visions, vos vieillards auront des songes;

18 oui, sur mes serviteurs et sur mes servantes en ces jours-là je répandrai de mon Esprit et ils seront prophètes.

19 Je ferai des prodiges là-haut dans le ciel et des signes ici-bas sur la terre, du sang, du feu et une colonne de fumée.

20 Le soleil se changera en ténèbres et la lune en sang avant que vienne le jour du Seigneur, grand et glorieux.

21 Alors quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.

22 «Israélites, écoutez mes paroles: Jésus le Nazôréen, homme que Dieu avait accrédité auprès de vous en opérant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez,

23 cet homme, selon le plan bien arrêté par Dieu dans sa prescience, vous l'avez livré et supprimé en le faisant crucifier par la main des impies;

24 mais Dieu l'a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n'était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir.

25 David en effet dit de lui: Je voyais constamment le Seigneur devant moi, car il est à ma droite pour que je ne sois pas ébranlé.

26 Aussi mon coeur était-il dans la joie et ma langue a chanté d'allégresse. Bien mieux, ma chair reposera dans l'espérance,

27 car tu n'abandonneras pas ma vie au séjour des morts et tu ne laisseras pas ton saint connaître la décomposition.

28 Tu m'as montré les chemins de la vie, tu me rempliras de joie par ta présence.

29 «Frères, il est permis de vous le dire avec assurance: le patriarche David est mort, il a été enseveli, son tombeau se trouve encore aujourd'hui chez nous.

30 Mais il était prophète et savait que Dieu lui avait juré par serment de faire asseoir sur son trône quelqu'un de sa descendance, issu de ses reins;

31 il a donc vu d'avance la résurrection du Christ, et c'est à son propos qu'il a dit: Il n'a pas été abandonné au séjour des morts et sa chair n'a pas connu la décomposition.

32 Ce Jésus, Dieu l'a ressuscité, nous tous en sommes témoins.

33 Exalté par la droite de Dieu, il a donc reçu du Père l'Esprit Saint promis et il l'a répandu, comme vous le voyez et l'entendez.

34 David, qui n'est certes pas monté au ciel, a pourtant dit: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: assieds-toi à ma droite

35 jusqu'à ce que j'aie fait de tes adversaires un escabeau sous tes pieds.

36 «Que toute la maison d'Israël le sache donc avec certitude: Dieu l'a fait et Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous aviez crucifié.»

37 Le coeur bouleversé d'entendre ces paroles, ils demandèrent à Pierre et aux autres apôtres: «Que ferons-nous, frères?»

38 Pierre leur répondit: «Convertissez-vous: que chacun de vous reçoive le baptême au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés, et vous recevrez le don du Saint Esprit.

39 Car c'est à vous qu'est destinée la promesse, et à vos enfants ainsi qu'à tous ceux qui sont au loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera.»

40 Par bien d'autres paroles Pierre rendait témoignage et les encourageait: «Sauvez-vous, disait-il, de cette génération dévoyée.»

41 Ceux qui accueillirent sa parole reçurent le baptême, et il y eut environ trois mille personnes ce jour-là qui se joignirent à eux.

Prédication

Ceux qui accueillirent la parole et qui reçurent le baptême furent environ 3000. Et nous nous demandons quelle parole ils accueillirent. Car il y a dans ce texte deux manifestations de la parole. Il y a cette manifestation spontanée stupéfiante :  des hommes simples, se mettent à dire les merveilles de Dieu dans des langues qu’ils n’ont jamais apprises. Et, plus fort encore, il y a Pierre – homme simple parmi les hommes simples – qui prononce un long – n’est-ce pas – très long – trop long ? – discours parfaitement structuré, structuré comme un catéchisme à l’ancienne… C’est apparemment dans le sillage de ce discours que ceux qui y assistent ont le cœur bouleversé. Je dis apparemment…

Deux manifestations donc de la parole : une manifestation collective égalitaire, simplissime, exclamative, et une manifestation individuelle hiérarchisée, très construite et très didactique. Ces paroles, le récit nous les présente dans un certain ordre : (1) le mystère des langues et (2) le mystère du discours construit, c'est-à-dire (1) l’émotion intérieure qui précède (2) le catéchisme ; ou encore (1) la communication intime qui précède (2) l’exposé rationnel de la foi.

Cet ordre saute aux yeux lorsqu’on lit les 36 premiers versets de Actes 2. Mais, repris par la bouche de Pierre, au verset 38, le don du Saint Esprit arrive après l’exposé de la foi, et même après le baptême. C'est-à-dire que ce qui venait en premier dans la première partie du récit vient en dernier dans la seconde partie ; et alors (2) précède clairement (1).

 

Y a-t-il un ordre naturel de ces choses ? Doivent-elles être hiérarchisées ? Manifestement, l’auteur des Actes des Apôtres s’est posé la question. Et s’il s’est posé la question, c’est qu’il a dû remarquer, en son temps, qu’il y avait des réponses diverses. Certaines communautés très portées sur l’émotion et la spontanéité, d’autres communautés très portées sur la réflexion et la rationalité, et que ces communautés, se réclamant d’un même Dieu et d’un même Christ, n’entretenaient pourtant pas des relations très fraternelles.

L’auteur des Actes des Apôtres s’est manifestement posé la question. Mais il n’a manifestement pas répondu à la question en termes de chronologie. Parfois, dans le livre des Actes, l’Esprit Saint vient avant la catéchèse, parfois après, parfois pendant. Ce qu’a affirmé l’auteur, c’est que l’Esprit Saint se défie des structures et règlements mis en place par les hommes. Ce qu’il a affirmé aussi, c’est que, doctrine biblique ou spontanéité spirituelle, tous appartiennent à une seule et même Eglise, tous enfants d’un même Dieu… Il n’est pas certain qu’il ait été parfaitement entendu.

La question n’a cessé de résonner, de se répéter, et de susciter toujours la même réponse au sein des Eglises. Pour ne parler que de Luther, il a affirmé que les éléments intérieurs (don de l’Esprit et inspirations personnelles) ne viennent pas avant ni sans les éléments extérieurs (enseignement de l’Eglise) (le catéchisme vient avant la divine inspiration). Mais de cela peut-on faire une sorte de règle ? Une telle règle serait d’emblée battue en brèche par tout lecteur un peu intelligent du second chapitre du livre des Actes des Apôtres, comme nous l’avons vu. Et il nous faut donc examiner simultanément ce que nous allons considérer comme deux manifestations de ce que nous appelons l’Eglise.

 

Premièrement, « ils se mirent à parles d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer ». C’est totalement inattendu, totalement spontané. Cela fait de chacun un prédicateur autorisé. C’est une puissance d’invention et de reformulation considérable. Cela a donc une fonction tout à fait importante dans la vie de l’Eglise, une fonction justement de créativité qui met tous les membres de l’Eglise sur un pied d’égalité. C’est l’aspect positif de cette inspiration directe. Mais, à bien y regarder, cette même inspiration n’a pas que des avantages et, en particulier, elle ne bâtira pas une communauté. Tout au plus formera-t-elle un groupe éphémère dont les limites transpercent les frontières doctrinales – on appelle ça aujourd’hui christianisme post-confessionnel – mais cela ne permet pas de réflexion au long cours. Et puis ce genre de groupe, justement, faute de réflexion au long cours, n’est pas en mesure de réfléchir sur un bien commun. L’inclusivisme radical a de graves défauts. Ignorant le long terme et le collectif, il ne peut que juxtaposer des émotions individuelles qui, faute justement de réflexion, sont esthétiquement belles, mais potentiellement nocives. Dans l’emportement d’une émotion, on peut hurler Christ est Vainqueur tout autant, et avec pas d’avantage de raison, qu’on pousse des cris de singes dans les stades lorsque tel joueur de couleur touche le ballon ; on peut jouir simultanément tous ensemble, sans aucunement s’interroger sur une sorte de bien commun. Faute d’une élaboration rationnelle et d’une réflexion critique, l’inspiration directe se satisfait de la jouissance de la foule et ne dispose d’aucun moyen pour discerner les esprits…

Secondement – sans hiérarchiser – vient le discours de Pierre dont le premier verbe est le verbe comprendre. Pierre, qui se pose ici en autorité reconnue et indiscutable, explique et argumente. Le moins qu’on puisse dire c’est que son discours et très largement englobant : ce qui se passe correspond au « plan arrêté par Dieu dans sa prescience », mieux vaudrait dire sa pré-compréhension ; l’ambition de l’enseignement de Pierre est que les auditeurs, en comprenant son discours, comprenne ce que Dieu lui-même a compris depuis toujours et pour toujours… excusez du peu. A ce discours – et à ce type de discours – il nous faut reconnaître d’immenses vertus : il crée un langage commun, structuré, sur lequel peuvent se greffer d’infinies variations, au sujet duquel on peut, ensemble, s’interroger, et qui permet de mettre des mots sur des événements – on gagne ainsi en intelligibilité – et, le cas échéant, il devient possible de faire un classement, voire un tri, des événements. Il faut un discours rationnel pour pouvoir discerner les esprits. Mais, il faut aussi le reconnaître, ce type de discours peut se poser, voire être reçu, comme norme absolue et devenir le carcan d’une communauté sûre d’elle-même, exclusive et sclérosée.   

Nous ne pouvons pas en rester là avec le contenu de notre prédication. L’auteur des Actes ne le fait pas. A sa manière – en ayant l’air de raconter une histoire de l’Eglise – il se prononce pour les générations présentes et futures, et il leur fait remarque que la véritable fécondité d’une Eglise ne réside pas dans la doctrine excluant l’émotion, ni dans l’émotion excluant la doctrine. L’émotion a besoin de la doctrine pour se structurer en langage et pour pouvoir discerner les esprits ; la doctrine a besoin de l’émotion pour ne pas se prendre pour ce qu’elle n’est pas, pour se rappeler que Dieu est toujours autre, plus, moins, mais essentiellement autre que ce qu’on prétend comprendre de Lui.

Dans une communauté vivante et fraternelle, chacun peut vivre, selon ses propres affinités, de puissantes émotions, et élaborer une pensée de la foi. Chaque communauté a son propre style. Et ce n’est pas l’un ou bien l’autre, l’un plutôt que l’autre. C’est l’un et l’autre. Car nous sommes des êtres d’émotion,  autant que des êtres de raison.

Puisse donc l’Esprit Saint nous inspirer, inspirer nos émotions et nos discours. Et puissent nos cœurs, et notre communauté, être robustes et accueillants. Amen