Matthieu 16
13 Arrivé dans la région de Césarée de Philippe,
Jésus interrogeait ses disciples: «Au dire des hommes, qui est le Fils de
l'homme?»
14 Ils dirent: «Pour les uns, Jean
le Baptiste; pour d'autres, Elie; pour d'autres encore, Jérémie ou l'un des
prophètes.»
15 Il leur dit: «Et vous, qui
dites-vous que je suis?»
16 Prenant la parole, Simon-Pierre
répondit: «Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.»
17 Reprenant alors la parole, Jésus
lui déclara: «Heureux es-tu, Simon fils de Jonas, car ce n'est pas la chair et
le sang qui t'ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux.
18 Et moi, je te le déclare: Tu es
Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et la Puissance de la mort
n'aura pas de force contre elle.
19 Je te donnerai les clés du
Royaume des cieux; tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aux cieux, et
tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aux cieux.»
20 Alors il commanda sévèrement aux
disciples de ne dire à personne qu'il était le Christ.
Prédication :
L’an 2000, bien des choses se passèrent qui avaient trait
au nombre 2000. Par exemple certains de nos sœurs et frères attendaient la fin
des temps et le retour de Jésus, ils pensaient que cela aurait lieu sur le mont
des Oliviers comme-il-est-écrit-dans-la-Bible, et ils avaient élu résidence juste
en face, afin d’être aux premières loges. Ils durent déchanter, mais ne nous
moquons pas… ce qu’on perd en illusion on peut le gagner en lucidité.
L’an 2000, advint quelque chose d’autre qui va peut-être
servir notre méditation. Un film sortit, un péplum, succès considérable, 45
distinctions dont 5 oscars, réalisateur Ridley Scott, Gladiator.
Pourquoi Gladiator ?
Dans les premières minutes du film, une intéressante méditation nous est
proposée, sur la succession. Comment accéder à la qualité d’Empereur à Rome lorsqu’on
est soi-même fils de l’Empereur ? Comment accéder à la qualité d’Empereur lorsqu’on n’est pas
fils de l’Empereur ? Dans le film, un vieil empereur du nom de Marc-Aurèle,
sentant sa fin prochaine, et désireux de rétablir la République, se propose de
nommer à cette fin Empereur son loyal généralissime, Maximus. C’est un mode de
succession, la compétence plutôt que la filiation. Mais le vieil Empereur a
aussi un fils, assoiffé de pouvoir et de sang, fils qui va user de violence pour
parvenir à ses fins. Retour vers l’autre mode de succession : dynastique. Et
là, le fils n’attendra pas le décès de son père… il le précipitera.
Je ne sais pas me souvenir si, dans la Bible, il y a
ainsi des parricides (tentative d’Absalom fils de David)… mais ce dont je me
souviens, c’est que parfois entre frères le sang coule, ou peut abondamment
couler, lorsque vient le temps de se succéder à la tête de la tribu (par
exemple Joseph fils de Jacob-Israël…).
Comment donc le pouvoir se transmet-il ? Ou,
question connexe – assez peu différente – comment la suprématie se
transmet-elle ?
« Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon
Eglise… » Parole et jeu de mot du Seigneur adressés à Pierre après que
celui-ci ait commis un trait mémorable et fondateur : « Tu es le
Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Primauté de Pierre pour avoir dit
cela, en réponse à la question « qui dites-vous que je suis ? ».
Primauté de Pierre, la question a dû tourmenter ceux qui
ont écrit les évangiles, ils ont tous médité là-dessus, et pas eux seulement.
Il semble bien que la figure de Pierre – la figure, pas
la personne de Pierre – se soit manifestée comme importante, peut-être même
comme capitale – c’est bien le cas de le dire – dans les premières décennies
d’existence de l’Eglise. Il est tenu pour certain que Pierre prêcha et mourut
en martyr, à Rome. La Bible lui attribue deux épîtres et la tradition quantité
d’autres choses… Mais là n’est pas la question. La question n’est pas ici ce
par quoi l’on s’illustre, ce qui relève des hommes, mais bien plutôt ce par
quoi l’on ne s’illustre pas… le retournement que cela suppose est un domaine
littéraire dans lequel les écrivains bibliques, nouveau testament et ancien
testament, ont excellé. Vous croyez tenir ceci ou cela par quoi un sujet se
distingue, vous croyez le fonder et le tenir en gloire, mais vous êtes en fait
appelés à la prudence, à la réflexion, et parfois à un démontage en règle. La
même remarque vaut tout autant dans l’autre sens, lorsque le vaurien – présumé
tel – se met à parler en saint homme, ainsi qu’il en est dans l‘évangile de Luc
avec l’un de ceux qui furent crucifié au côté de Jésus.
Alors, qui est qui ? Qui est quoi ? Qu’est-ce
que Pierre ? Qui est-il ?
Jésus interroge ses disciples : « Au dire des
hommes, qui est le Fils de l’homme ? » Nous attendons ici le nom de
quelqu’un. Nous attendons le nom de Jésus, évidemment. Il y a là une évidence,
ou plutôt il y a là comme une évidence. Une évidence gagée sur une histoire,
sur un patrimoine littéraire, biblique, et sur un patrimoine liturgique. On
raconte, on pense, on prie. Et quant à la personne à laquelle toute l’affaire
se réfère, il y a les prophètes, qui ne se sont jamais contentés de prédictions
magistrales, mais qui ont aussi – et surtout – donné aux hommes à penser et à
vivre leur destinée. Jean-Baptiste, Elie, Jérémie, ou encore l’un des autres.
Et pourquoi seulement trois noms, et pourquoi ces trois-là ? Parce que
plus que les autres ils ont flirté avec quelque chose… parce que plus que les
autres ils donné par leur style à comprendre ce qui allait se nouer avec un
certain personnage appelé Fils de l’Homme…
Ne nous y trompons pas, le Fils de l’Homme n’est pas fils
d’un certain homme. Le Fils de l’homme n’est ni Fils, ni Homme. Fils de
l’homme, c’est pour ne pas dire fils de Dieu, et fils de Dieu, c’est pour ne
pas dire Dieu. Bilan, c’est de Dieu qu’ils parlent, de Dieu que nous parlons.
L’enjeu de cette conversation, c’est Dieu. L’enjeu de cet enjeu, c’est encore
Dieu. Jésus, en tant que Fils de l’Homme, c’est Dieu, ni plus ni moins, chez
les hommes, homme, le plus simplement du monde. Une présence qui peut toujours
être biffée.
D’où l’importance de la question qui suit, question de
Jésus à ses disciples : « Et vous, qui dites-vous que je
suis ? » La réponse de Pierre n’a peut-être pas tant d’importance.
Elle reprend des éléments essentiels. Elle se prête aussi brillamment à la
prière commune, à la liturgie, bien qu’elle ne soit guère présente dans nos
liturgies réformée. Et elle va tout bien pour constituer un argument en faveur
d’une super primauté de celui qui l’a donnée le premier, Pierre. Côté pile de
la médaille.
Côté face, Jésus, sans doute afin de modérer les
éventuelles ardeurs de Pierre, vient bientôt lui rappeler qu’il n’est, lui,
Pierre, que Simon fils de Jonas, un homme fils d’un autre homme, et que la
difficulté à s’exprimer en tant que Dieu, avec le risque permanent de dire de
graves sottises, est et sera à jamais son lot, le lot commun de tous les hommes
en même temps que leur mission commune. Côté face, toujours, la confession de
foi, ça n’est pas Pierre qui l’a produite de lui-même, mais elle lui a été
révélée par, dit Jésus, c'est-à-dire par Dieu lui-même. N’allons pas imaginer
ce que Monsieur Dieu veut ici faire ou ne pas faire. Imaginons plutôt pour
Pierre un moment d’intense et fécond émerveillement, ce qu’on appelle présence
de Dieu, et dont celui qui parle, étonné lui-même, ne sait pas qu’il en est
l’auteur. Et encore, lorsque nous parlons de Monsieur Pierre, et de la pierre
qu’il est, nous pensons à une clé de voûte, qui est belle, qui est haute, que
tout le monde voit. Pierre est qualifié par Jésus de pierre sur laquelle il
bâtira son Eglise. Retenons le petit mot "sur", sur et non pas sous. Entendons que toutes les autres
pierres sont visibles, sauf elle, elle est invisible : le plus important
est ce qui se manifeste le moins - le plus important est ce qui ne se manifeste
jamais.
Et maintenant, cette scène se passe à l’étranger. C’est à
Césarée de Philippe, au nord du lac de Tibériade, au pied du mont Hermon, pays
de sources, de canyons et de verdure… là où Jésus et ses disciples sont incognito, là où ils peuvent
apprendre ; mais pas â être grands et savants, apprendre à être peu de
chose, ce peu de chose par lequel le message de Dieu aux hommes se donne à
déchiffrer, et où la voix de Dieu se donne par les hommes à entendre aux
hommes.
Et nous en restons là aujourd’hui. A cette promesse toujours
renouvelée de l’humanité de Dieu offerte aux hommes, pour qu’ils y goutent et
pour qu’ils la partage. Amen
A suivre