« Heureux
les pauvres de cœur, le royaume des cieux est à eux »
Ceux qui chantent les Béatitudes en
s’aidant par exemple du recueil Alléluia,
trouveront ceci : « Bienheureux les pauvres en esprit… » Pauvres
en esprit ? Pauvres de cœur ? Pourquoi un tel écart entre les
traductions ? Voici une troisième possibilité : « Vous êtes
bénis, lorsque vous êtes tout au bout de votre corde… » Cette proposition
de traduction, que j’emprunte à une Bible en anglais, nous renvoie d’emblée à une
expérience de vie.
Il est possible d’imaginer la vie
comme un espace que nous avons à parcourir, un espace qui s’agrandit chaque
jour que nous vivons, et que nous parcourons en tenant dans nos mains une
corde, une corde d’assurage, solidement ancrée dans le bloc solide et stable du
langage, de notre intelligence et de nos certitudes. Et puis, un jour, quelque
chose arrive et nous voici tout au bout de notre corde… et même un peu plus
loin. La corde nous a été arrachée, ou nous l’avons lâchée. En conséquence de
quoi nous ne savons que penser de ce qui nous arrive, ni n’en savons que dire.
Nous voici alors réellement exposés, immergés, dans l’inconnu.
Nous pouvons penser à un malheur
sans nom. Osera-t-on jamais proclamer bienheureux ceux que l’horreur éprouve et
démembre ? Prononcer la première des Béatitudes devant un malheur sans nom
est impensable, sauf si cette Béatitude est l’engagement de celui qui la
prononce, engagement en faveur de l’éprouvé, engagement de l’accompagner dans sa marche
dans l’inconnu, dans sa quête de sens, tout en sachant qu’on ne dispose pas
soi-même pour cet accompagnement de moyens reconnus et efficaces. C’est dans ce
plus profond engagement, si on le tient, et avec infiniment de précautions
qu’on parlera du royaume des cieux.
Nous pouvons aussi penser au bonheur.
L’immersion dans un paysage d’une beauté à couper le souffle, le ciel constellé
d’étoiles, l’aurore boréale, l’immensité de l’océan, ou celle de la banquise…
L’amour, la première fois qu’on le ressent, la première fois qu’on le déclare,
et on ne sait pas que c’est lui. La floraison des coquelicots, l’enfant qui
accède au langage. La liste est infinie, et elle n’est qu’une liste de causes
possibles. Mais le sentiment, qu’est-il ? Le bonheur, le véritable
bonheur, se reconnaît à ce que rien ne vous y prépare, qu’il advient quand il
veut, et comme un d’au-delà de l’intelligence et des sentiments. Le bonheur
n’advient qu’à ceux qui ont lâché la corde ; ceux qui ne l’on pas lâchée
ne connaissent que la satisfaction.
Seuls les plus grands, seuls les plus purs, savent parler du bonheur. La
plupart de ceux qui l’éprouvent ne parleront jamais que de ses causes.
Nous avons évoqué le bonheur sans
nom, le malheur sans nom, et l’audace de Jésus de Nazareth qui, dans le sermon sur
la montagne, unit en une seule réalité ces deux au-delà de l’expérience
humaine. Cette unification est-elle un scandale ? Est-elle un scandale
pour les heureux et pour les malheureux, un mépris pour les uns et un
rabat-joie pour les autres ? Elle le serait vraiment si celui qui parle
n’avait pas tant fait pour les uns comme pour les autres, pour les ramener à la
vie.
Pour le lecteur, cette unification qui
ne va absolument pas de soi peut être l’occasion, justement, de lâcher sa
propre corde, pendant quelques instants, le temps d’une méditation sur la vie
et la mort, sur le plus grand des malheurs possibles et le plus grand des
bonheurs possibles, sur la pauvreté de la parole et des sentiments, et, au-delà
de cette méditation, sur le royaume des cieux.
Pasteur
Jean DIETZ, 20 janvier 2021
L’image de la corde est empruntée au théologien Eugene H.
PETERSON (1932-2018) The Message //REMIX
Culte dominical vidéo : https://www.youtube.com/channel/UCLEihGwqDjzHjWjmYnP2_2Q
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