dimanche 11 septembre 2016

Dire non à Dieu (Exode 32,7-14)

Le 11 septembre 2016 est l'anniversaire des 15 ans des attentats... Evoquer ces événements? Presque juste en face de Carnegie Hall, il y a une petite caserne de pompiers. Le nombre de plaques commémoratives fixées là sur les murs, chacune au nom d'un homme mort le 11 septembre 2001, ramené à la taille de cette petite caserne, suggère que tous ceux qui étaient là sont partis, et qu'aucun n'est revenu...
Mémorial du 11 septembre
Exode 32,7-14
7 Le SEIGNEUR adressa la parole à Moïse: «Descends donc, car ton peuple s'est corrompu, ce peuple que tu as fait monter du pays d'Égypte.
8 Ils n'ont pas tardé à s'écarter du chemin que je leur avais prescrit; ils se sont fait une statue de veau, ils se sont prosternés devant elle, ils lui ont sacrifié et ils ont dit: Voici tes dieux, Israël, ceux qui t'ont fait monter du pays d'Égypte.»
9 Et le SEIGNEUR dit à Moïse: «Je vois ce peuple: eh bien! c'est un peuple à la nuque raide!
10 Et maintenant, laisse-moi faire: que ma colère s'enflamme contre eux, je vais les anéantir et je ferai de toi une grande nation.»
11 Mais Moïse apaisa la face du SEIGNEUR, son Dieu, en disant: «Pourquoi, SEIGNEUR, ta colère veut-elle s'enflammer contre ton peuple que tu as fait sortir du pays d'Égypte, à grande puissance et à main forte?
12 Pourquoi les Égyptiens diraient-ils: ‹C'est par méchanceté qu'il les a fait sortir! pour les tuer dans les montagnes! pour les supprimer de la surface de la terre!› Reviens de l'ardeur de ta colère et renonce à faire du mal à ton peuple.
13 Souviens-toi d'Abraham, d'Isaac et d'Israël, tes serviteurs, auxquels tu as juré par toi-même, auxquels tu as adressé cette parole: Je multiplierai votre descendance comme les étoiles du ciel, et tout ce pays que j'ai dit, je le donnerai à votre descendance, et ils le recevront en héritage pour toujours.»
14 Et le SEIGNEUR renonça au mal qu'il avait dit vouloir faire à son peuple.

Quelqu'un, sur le fil, entre les Twin Towers
Prédication : 
            Le Seigneur renonça au mal qu’il avait dit vouloir faire à son peuple. Et il y renonça après un dialogue avec Moïse. Moïse avait donc le pouvoir de faire changer Dieu d’avis…
            Et nous allons, pendant un petit instant, oser étendre cette conclusion à la prière : prier peut faire changer Dieu d’avis.
            De là à vous promettre que si vous priez, Dieu vous exaucera, il n’y a qu’un pas… mais peut-on franchir ce pas ?

            Je voudrais vous faire observer que le texte biblique que nous venons de lire est d’une indiscrétion grave. Il y a quelque chose d’extrêmement personnel, d’intime, l’intimité de Moïse et de Dieu, qui nous est dévoilé. Et nous sommes là, avec notre conclusion générale sur la prière, uniquement fondée sur une indiscrétion concernant l’expérience intime d’une seule personne. Cela pour vous indiquer qu’une telle conclusion est bien fragile… et vous le savez bien, qu’une telle conclusion est bien fragile. Sans même réfléchir, vous savez bien qu’il y a des gens qui, dans un moment critique de leur existence, ont prié pour quelque chose de réellement important, pour eux-mêmes, pour autrui, pour la fin d’une guerre, pour avoir un enfant, pour ne pas perdre un enfant, ou un proche, ou pour leur propre survie, et ça n’a rien changé, et Dieu n’a pas changé d’avis.

            Est-ce à dire que Dieu s’en fiche, ou que Dieu, c’est du flan ? On peut le dire, et cela reviendrait à dire non. Cela pourrait être un non facile, trop vite prononcé… cela pourrait être un non difficile. Qu’est-ce qu’un non facile ? Qu’est-ce qu’un non difficile ? Il y a justement les deux dans notre texte.
           
            Nous commençons par le non facile. Quelqu’un, dans le texte biblique, prononce un non facile. Ce quelqu’un, c’est Dieu. Parce que ce peuple qu’il a lui-même choisi n’est pas à la hauteur de ses espérances, Dieu s’apprête à dire non, et à l’exterminer. Dieu s’apprête donc à changer de peuple parce que ce peuple ne le satisfait pas. Mais ce peuple, enfin, c’est lui-même qui l’a suscité, puis libéré ! Et il l’effacerait à l’occasion d’une faute grave ? Mais, tout de même, est-ce parce qu’il est Dieu que Dieu a suscité et libéré ce peuple, ou bien est-ce pour se prouver à lui-même qu’il est Dieu ? Ce serait trop facile, et indigne de Dieu que d’effacer son peuple. Mais ça n’est pas tout, et ça n’est même pas le pire. Non seulement Dieu s’apprête à agir comme un gosse capricieux, comme un vulgaire roitelet agit avec ses courtisans, mais en plus il cherche à séduire Moïse, son chouchou, en lui proposant un marché ignoble : effacer tout le monde sauf lui, et faire de lui, Moïse, et de sa descendance la grande nation dont lui, Dieu, rêve... Nous avons appelé cela le non facile, le non qui utilise sa force pour écraser et humilier la faiblesse, qui se choisit et flatte un chouchou, et qui change de peuple comme de chemise…
            Nous ne savons pas ce que Moïse a pu penser du marché que lui proposait Dieu. Mais ce marché était une tentation considérable. Même Noé, qui savait bien ce que Dieu tramait, n’embarqua dans son arche que sa propre famille. Est-ce que l’humanité issue de Noé et de ses fils fut meilleure que celle d’avant ? Est-ce qu’un peuple issu de Moïse aurait été meilleur que le premier peuple ? Deux fois non… mais telle n’est pas la question posée. La tentation de Moïse est une tentation redoutable. Et Moïse dit non. Moïse dit non, et c’est cela, le  non difficile. Moïse renonce à une postérité, à une récompense… Moïse dit, en substance, à Dieu : « Non ! Pas sans eux. Je n’irai pas sans ce peuple qui est le tien. » Moïse dit cela, met en jeu toute sa renommé et toute sa postérité ; il le dit tout comme, au sujet du salut, tout chrétien qui a bien compris la doctrine de la grâce seule doit affirmer que si une seule personne doit manquer à l’appel des sauvés, son propre salut personnel ne l’intéresse pas. Et l’on sait qu’à la fin du voyage, Moïse ne vit la terre promise que de loin. Pour celui qui avait dit à Dieu « Non ! Pas sans eux ! » ce fut finalement eux, mais sans lui. Tel est le non difficile, le non qui fait qu’on s’engage pour l’humanité.

            Qu’allons-nous maintenant retenir ? Que le non facile est souvent précédé d’une sorte de oui facile. On peut en effet dire facilement oui à telle image de Dieu et en changer comme on change de chemise, ou de robe, parce que ça ne marche pas comme on veut, parce que ça n’exauce pas, qu’il y a une tâche, ou un accroc, ou que ça n’est plus à la mode. On en choisit une autre, et on recommence.
Une image de Dieu n’est pas Dieu. Et si l’on dit oui à une image de Dieu, ce n’est pas encore à Dieu qu’on a dit oui. Peut-être même que, dans une vie, on prononce plusieurs oui et plusieurs non faciles avant d’oser un non difficile, avant d’oser dire oui à Dieu. Et lorsque c’est à Dieu réellement qu’on a dit oui, c’est l’entreprise d’une vie entière… au service du peuple de Dieu, lorsqu’il s’agit de Moïse et des Hébreux. Et alors le oui à Dieu et le oui au prochain coïncident, aussi vrai que dans ces textes le prochain d’un Fils d’Israël est un autre fils d’Israël.
Mais lorsque sont dépassées en Christ les frontières des peuples et des cultures, le oui difficile à Dieu et le oui à l’humanité coïncident autant que coïncident l’amour de Dieu et l’amour du prochain.

Puissions-nous, chaque fois que cela sera nécessaire, prononcer le non difficile que Moïse opposa à une certaine image de Dieu.
Puissions-nous prononcer le oui difficile que Dieu attend.

Que Dieu nous soit en aide. Amen. 

Philippe Petit, entre les deux tours, le 7 août 1974. Pour ne pas oublier...