Ephésiens 2
1 Vous,
vous étiez morts à cause de vos errements
et péchés 2 (chemins) où vous avez marché, selon la manière
de ce monde, selon le principe de la puissance de l’air,
l'esprit qui agite et déborde
maintenant les fils de l’endurcissement (ceux
qui ne veulent aucunement se laisser convaincre)...
3 Nous étions de ce nombre, nous tous aussi, qui retournions jadis aux convoitises de notre chair: nous
faisions ses volontés, suivions ses impulsions, et nous étions naturellement voués à l’excès (enfants de nos propres passions), comme tous les autres.
4 Mais Dieu étant
riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il nous a aimés,
5 alors que nous étions morts du fait de nos errements,
il nous a fait vivre ensemble avec Christ - c'est par grâce
que vous avez été sauvés - ,
6 ensemble il
nous a ressuscités et ensemble nous a fait
asseoir dans les cieux, en Christ
Jésus ;
7 afin qu’il
démontrât dans tous les siècles à
venir l'incomparable richesse de sa grâce dans
sa bonté pour nous en Jésus Christ.
8 Car c'est par
grâce que vous avez été sauvés, par
le moyen de la foi; il n’y a rien là qui
vienne de vous : don de Dieu ;
9 rien qui vienne
des oeuvres, ainsi nul ne s’en vante.
Méditation :
A quelle
expérience concrète ce texte fait-il référence ? Par expérience concrète
j’entends une expérience que chacune, chacun, pourrait faire, non pas seulement
ceux à qui le langage particulier de la piété chrétienne est accessible, mais l’homme
et la femme ordinaires, ceux qui n’ont pas été baignés là-dedans.
Car, il faut bien le dire, on
peut bien se demander ce que sont : cette résurrection, ces cieux où Dieu
nous a fait asseoir en Jésus Christ. Tout être humain peut bien se demander –
et nous demander – à quoi tout cela fait-il référence et de quoi tout cela
est-il le nom ?
A quelle expérience concrète donc
tout cela fait-il référence ? Méditons, le plus simplement du monde :
état initial, état final, passage, puis quelques remarques sur le langage
religieux.
Etat initial
En m’appuyant sur la langue
grecque du texte, je me demande ce que c’est qu’un énergumène (le mot grec
figure dans le texte). C’est un être que son énergie propre domine et
emporte ; c’est quelqu’un que sa propre vitalité ne cesse de déborder. Il
agit donc sans penser, sans trier ses désirs, et en en cherchant l’immédiate
satisfaction… Il est enfanté par ses propres passions, desquelles il est
esclave.
Le texte s’ouvre sur le constat
de la morbidité d’un tel état. La description laisse aisément penser qu’il est
irréversible, autant que la mort, et que si c’est ainsi qu’on vit, c’est pour
toujours.
Etat final
L’initial est donc appelé mort. Il
est a priori, impossible, inutile, insensé de parler d’une évolution de cet
état. Pourtant, Paul parle d’une résurrection, d’une vie après cette mort.
Essayons de décrire cette vie, au
moins par opposition avec son contraire. Celui qui vit de cette vie n’est pas
un être dépourvu d’énergie, puisqu’il vit. C’est un être qui n’est pas esclave
de ses passions, dont la vitalité est maîtrisée, dont les actions sont pensées,
dont les désirs sont triés, et dont les satisfactions peuvent être différées.
Et on voit en lui un être joyeux mais apaisé, libre mais réfléchi, détaché mais
attentif, et sage sans être ennuyeux, sage d’une sagesse ouverte.
A ces caractéristiques nous
ajoutons la modestie car, vu ce que fut son état initial, il ne pourra jamais
se vanter d’être passé de l’un à l’autre par quelque œuvre personnelle que ce
soit.
Passage
Comment se fait-il qu’un passage
entre les deux états soit possible ? Il l’est ! Et ne nous hâtons pas
d’affirmer que « Dieu le rend possible ». Ce passage est avant tout possible
parce qu’il est constaté dans des vies humaines. Il est constaté par exemple
chaque fois qu’un adolescent devient un adulte, ou encore chaque fois qu’un
être humain suspend ses caprices, entre en dialogue, choisit d’attendre...
Ce qu’on peut dire, c’est que la
possibilité de ce passage ne peut pas appartenir d’emblée et consciemment à l’être
humain qui est dans l’état initial que Paul décrit. Mais pourtant c’est bien cet
être humain qui va passer, qui va apprendre, qui va grandir. C’est bien lui qui
prendra conscience de la morbidité de son état initial, et qui découvrira
surtout la nécessité puis la possibilité d’autrement vivre. Le passage de
l’état initial à l’état final prend ensuite plus ou moins de temps, selon les
personnes.
Si quelque chose mérite le nom
d’expérience de la grâce, c’est bien cette double découverte. En parlant, pour
ce passage, d’expérience de la grâce, nous n’introduisons pas subrepticement
une notion religieuse. Nous voulons seulement dire qu’il y a quelque chose de
profondément personnel, totalement inattendu, inaugural, qui est bien une
possibilité du sujet, au plus profond de lui-même, si profondément qu’elle lui
est presque comme étrangère, qu’il n’aurait jamais parié dessus, et pourtant...
Aussi, lorsqu’il en fait en lui la découverte, il ne peut donc la reconnaître
autrement que comme une grâce, comme un don.
En parlant pour ce passage, d’une
possibilité propre au sujet lui-même, nous introduisons une possibilité dans ce
qui semblait impossible, une espérance au cœur de la désespérance.
Altérité
L’introduction du nom de Dieu
et de certains attributs de Dieu dans ce texte permet de parler de l’altérité. Cela
parle d’un autrement vivre qui est toujours possible, d’un poids certain des
errements passés mais qui n’écrase pas, d’une responsabilité des fautes
anciennes mais qui ne condamne pas, d’une maîtrise de soi qui est toujours
envisageable et toujours à conquérir.
On peut affirmer que cela
trouve son origine dans l’amour de Dieu, poétiquement, métaphoriquement, pour
rendre compte des infinies possibilités de restauration d’un être humain ;
un être humain prend conscience du sérieux de la vie, et de sa fragilité, il
prend acte de la profondeur de l’engagement envers lui de celui qui en vérité lui
dit « Je vous aime », il comprend que celui qui ainsi s’engage se
fait infiniment vulnérable ; plus encore : lorsque cet être humain
prend acte de ce qu’une vie, la sienne, n’est pas épuisée, n’est pas vaine, et
est encore promise, malgré tout, à un avenir plein d’espérance.
L’introduction du nom de Jésus
Christ signifie à quel point l’expérience dont nous parlons prend l’allure
d’une rencontre, rencontre de soi-même, on l’a suggéré déjà, rencontre d’un
homme à la fois familier et tout à fait étranger, rencontre d’un homme dont on
dit, dans nos traditions, qu’il a vécu en Fils de Dieu, qu’il a assumé le nom
de Dieu dans la totalité de sa signification, et vécu d’une manière totale
l’engagement en faveur de ses semblables, en quoi, selon nos traditions, on
peut le reconnaître comme Christ.
Le lieu de cette rencontre
porte le nom de celui qu’on rencontre : c’est en Jésus Christ qu’on se
tient.
Situation finale
L’expérience dont nous parlons
peut sans conteste être comprise comme une résurrection par celui qui la
vit ; elle peut apparaître comme une résurrection par ceux qui en sont
témoins. Le nom de Jésus Christ peut être une fois encore, dans nos traditions,
associé correctement – mais non magiquement – à cet événement.
Quant à la situation finale,
celui qui est sauvé est déclaré « assis dans les cieux ». Si, comme
nous le lisons, il arrive qu’on marche « selon le principe des puissances
de l’air », et que cela vous laisse abandonné à vos propres passions et
donc jamais en paix, nous pouvons dire de celui qui est sauvé qu’il vit
intensément mais sereinement, assis, c'est-à-dire posé, dans les cieux, en
Christ, paisiblement, sur terre, vivant ici et maintenant.
Nul orgueil en tout cela. Juste
une grâce de chaque jour, un don qu’on n’a jamais fini de recevoir et un
travail sur soi qui jamais n’est totalement achevé.
Quel que soit l’état
d’avancement de ce travail, et parfois certains rechutent, la grâce donnée
reste toujours donnée et elle conserve toujours l’allure d’une promesse.
Puisse celui à qui elle a été
donné en faire ce qui doit en être fait. Et que gloire soit ainsi rendue à
Dieu.
Ephésiens 2
1 Autrefois, vous étiez
spirituellement morts à cause de vos fautes, à cause de vos péchés.
2 Vous vous conformiez alors à la manière de vivre de ce
monde; vous obéissiez au chef des puissances spirituelles de l'espace, cet
esprit qui agit maintenant en ceux qui s'opposent à Dieu.
3 Nous tous, nous étions aussi comme eux, nous vivions
selon les désirs de notre propre nature, nous faisions ce que voulaient notre
corps et notre esprit. Ainsi, à cause de notre nature, nous étions destinés à
subir le jugement de Dieu comme les autres.
4 Mais la compassion de Dieu est immense, son amour pour
nous est tel que,
5 lorsque nous étions spirituellement morts à cause de nos
fautes, il nous a fait revivre avec le Christ. C'est par la grâce de Dieu que
vous avez été sauvés.
6 Dans notre union avec Jésus-Christ, Dieu nous a ramenés
de la mort avec lui pour nous faire régner avec lui dans le monde céleste.
7 Par la bonté qu'il nous a manifestée en Jésus-Christ, il
a voulu démontrer pour tous les siècles à venir la richesse extraordinaire de
sa grâce.
8 Car c'est par la grâce de Dieu que vous avez été sauvés,
au moyen de la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu;
9 il n'est pas le résultat de vos efforts, et ainsi
personne ne peut se vanter.
Méditation :
C’est le
même texte ; c’est une autre traduction. Cette autre traduction, tout
comme d’ailleurs celle qui fut lue hier, est ce qu’on appelle une traduction dynamique,
une traduction qui ne soucie pas trop d’une fidélité au mot à mot du texte
original – d’ailleurs ici assez obscur par moments – mais qui se donne assez
librement les moyens de transmettre au lecteur ce que le traducteur a compris.
Absents du
texte grec, apparaissent dans cette traduction : l’adverbe « spirituellement »,
tout comme l’adjectif « spirituel », « le jugement de Dieu »,
et « ceux qui s’opposent à Dieu ».
Dans cette
traduction, apparaît ainsi que « nous étions destinés à subir le jugement
de Dieu », et que nous ne le sommes plus. Apparaît également un
« chef des puissances spirituelles de l’espace », qu’on peine à
retrouver dans le grec d’origine.
La
traduction que nous avons lue maintenant est marquée par une perspective très
dualiste : Dieu face à l’homme, le spirituel face au charnel… Dieu face au
« chef des puissances spirituelles de l’espace ». Dieu divisant la
flèche du temps entre un autrefois et
un désormais… Il apparaît comme un au-delà
de la pensée, extérieur à la personne humaine, un au-delà spirituel,
immatériel, transcendant.
L’autre
traduction était, tout à l’inverse, marquée par une perspective résolument moniste.
Une seule et même réalité matérielle dans laquelle Dieu apparaissait comme le tréfonds de la personne
humaine, un en-deçà du langage, dont la découverte approfondit la connaissance
que l’être humain a de lui-même. A la découverte de ce tréfonds ne s’opposaient
que les énergies ou complaisances que l’être humain porte en lui-même.
Faut-il
choisir entre ces deux perspectives ? Chacune porte en elle-même ses
propres vertus, et ses limites.
Voici
quelques vertus de la perspective dualiste. Dieu y est absolument Dieu, et
l’homme ne le peut connaître que par voie de révélation. La grandeur de Dieu,
sa « différence qualitative infinie » y sont préservées, même lorsque
l’on décidera de ne dire de lui que ce qu’il n’est pas. Et l’on pourra affirmer
alors que Dieu est tellement « au-delà de Dieu » que tout ce qu’on
peut dire de lui n’est jamais que provisoire, dérisoire… Mais il y a un prix à
payer. Faute d’être capable de se tenir dans l’exigeante dynamique qu’impose
cette perspective, ce qui aura été dit et reçu sur Dieu risquera toujours
d’être figé. Et ce qui sera figé conduira à des modes d’adhésion personnelle et
de structuration communautaires basés strictement sur des énoncés fétichisés et
donnés comme norme de la foi et de la vie. Ce qui risque fort de nourrir au
mieux l’infantilisme des croyants, au pire leur dogmatisme, voire leur violence…
Dans la
perspective moniste, Dieu est résolument atteignable par l’être humain, puisque
l’homme apprend à le connaître en apprenant à se connaître et en apprenant à
parler de ce qu’il découvre. Et l’on peut compter sur les expériences de vie, sur
l’âge qui vient, pour que la réflexion rebondisse. Mais inscrire Dieu dans
cette perspective risque de nourrir une certaine forme d’arrogance propre à
ceux qui prétendent avoir trouvé en eux-mêmes les ressources de leur
épanouissement. Ce qui peut avoir comme conséquence de conduire à une déstructuration
de la perspective communautaire en inscrivant le croyant dans un narcissisme
étroit.
Moniste et
dualiste, tous deux lisent la Bible. Pour chaque verset qu’on lit, on peut se dire que cela parle de Dieu en soi, mais
on peut aussi se dire que Dieu est le nom que l’auteur biblique a attribué à
tel mouvement de sa propre histoire.
Les deux
perspectives ont pourtant des choses en commun. Les deux traducteurs
s’entendent pour repérer une discontinuité dans le fil de l’existence humaine, sous
la forme d’un changement toujours possible dans le fil d’une vie. Une vie n’est
jamais condamnée par ses propres errements et ses propres carences. Et de ce
changement, aucun de ceux qui l’on vécu ne peut se vanter d’en être seul acteur,
car s’en vanter ainsi contredirait la gratuité dans laquelle cela s’inscrit. Ainsi,
si une perspective communautaire est construite sur cette expérience, elle ne
peut pas l’être sur quoi que ce soit de discriminant ni de méritoire.
Dualiste ou moniste ? Ce
n’est pas la manière dont on imagine Dieu qui compte, mais la manière dont
agit. Et l’agir, dans la perspective commune aux deux familles théologiques, se
verra adresser un petit nombre de questions simples et fondamentales. Qu’as-tu
choisi et que choisis-tu de faire de ta vitalité ? Qui fut et qui est ton
prochain ? Comment l’as-tu traité et comment le traites-tu ? Comment
t’en es-tu justifié et comment t’en justifies-tu ? En une seule
question : comment réponds-tu de tes actes ?
Je vous laisse méditer quelques
instants là-dessus.
Après quoi vous méditerez sur l'actualité récente... et sur ces représentations de Dieu desquelles on se réclame, et ce qui, parfois, s'ensuit
family of Muhammad Said Ismail Musallam (photo Reuters)