Luc 17
7 «Lequel d'entre vous, s'il a un serviteur qui
laboure ou qui garde les bêtes, lui dira à son retour des champs: ‹Va vite te
mettre à table›?
8 Est-ce qu'il ne lui dira pas
plutôt: ‹Prépare-moi de quoi dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que
je mange et boive; et après tu mangeras et tu boiras à ton tour›?
9 A-t-il de la reconnaissance
envers ce serviteur parce qu'il a fait ce qui lui était ordonné?
10 De même, vous aussi, quand vous
avez fait tout ce qui vous était ordonné, dites: ‹Nous sommes des serviteurs
inutiles, des esclaves qu’il n’est pas
nécessaire d’honorer. Nous avons fait seulement ce que nous devions faire.›
»
11 Or, comme Jésus faisait route
vers Jérusalem, il passa à travers la Samarie et la Galilée.
12 À son entrée dans un village,
dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s'arrêtèrent à distance
13 et élevèrent la voix pour lui
dire: «Jésus, maître, aie pitié de nous.»
14 Les voyant, Jésus leur dit:
«Allez vous montrer aux prêtres.» Or, pendant qu'ils y allaient, ils furent
purifiés.
16 Il se jeta le visage contre
terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce; or c'était un Samaritain.
17 Alors Jésus dit: «Est-ce que
tous les dix n'ont pas été purifiés? Et les neuf autres, où sont-ils?
18 Il ne s'est trouvé parmi eux
personne pour revenir rendre gloire à Dieu: il n'y a que cet étranger!»
19 Et il lui dit: «Relève-toi, va.
Ta foi t'a sauvé.»
Prédication
Ta foi t’a sauvé, dit Jésus au lépreux guéri, un sur les dix, un Samaritain,
revenu vers lui en glorifiant Dieu et qui s’est prosterné devant son guérisseur.
Pour quelle raison Jésus a-t-il pu dire cela à cet homme ? Où est la foi
de cet homme et quand la voyons-nous en œuvre ?
Ces questions sont très
tentantes ; parce que le récit que nous avons de l’épisode est un récit
bien détaillé, un récit dont toutes les étapes s’enchaînent très naturellement.
Chaque étape est une petite œuvre accomplie par cet homme. Alors, en
réfléchissant un peu, nous devrions pouvoir affirmer qu’à tel moment c’est la
manifestation de la foi, et que c’est pour cette raison que l’homme est sauvé.
Pour prendre un exemple,
c’est lorsque l’homme l’a remercié et s’est prosterné devant lui que Jésus lui
dit « Lève-toi, va. Ta foi t’a sauvé. » On peut alors penser que
c’est parce qu’il s’est prosterné et qu’il a remercié qu’il est sauvé. Sauf que
Jésus ne dit pas ta prosternation et tes remerciements t’ont sauvé ; Jésus
dit : ta foi t’a sauvé. C’est donc que la foi n’est pas assimilable à la
prosternation et aux remerciements. On pourrait aussi envisager que c’est parce
que l’homme est revenu en rendant gloire à Dieu qu’il est sauvé. Mais Jésus ne
lui dit pas ton retour et ta louange t’ont sauvé. Est-ce alors tout l’agir de
l’homme, depuis le cri qu’il a poussé et jusqu’à sa prosternation ? Jésus
ne parle pas du tout des actes de l’homme, mais de sa foi. Et nous n’allons pas
attacher la foi, et encore moins le salut, à un agir humain. Cela laisserait
bien trop à penser que Jésus proclame un salut sous condition.
Il faut nous souvenir de cette formule superbe,
que nous avons relue, qui précède le récit de la guérison des dix lépreux, et
selon laquelle celui qui vit pour l’évangile est un esclave non nécessaire, un
serviteur inutile, qui fait tout à fait gratuitement ce qu’il lui est commandé.
L’enseignement de Jésus s’applique à Jésus. C’est en tant que serviteur inutile
que Jésus guérit ces dix hommes, en mettant au service de la vie la puissance
dont il dispose, et c’est tout. Il ne va absolument rien exiger en retour. Aucun
des actes du Samaritain ne peut donc être regardé comme cause nécessaire et
suffisante du salut. C’est ta foi qui t’a sauvé, énonce Jésus, ta foi, et rien
d’autre.
Alors nous n’allons pas nous prononcer sur les
actes de Samaritain avant et après sa guérison. C’est la foi qui sauve, et
aucun acte humain n’est récompensé par le salut. Si nous nous refusons à nous
prononcer sur les actes, nous pouvons tout de même tenter de les interpréter.
Dix hommes, qui étaient des parias, rencontrent un
homme capable de faire des miracles, lui demandent sa pitié, obéissent à son
injonction d’aller voir les prêtres, sont guéris et déclarés purs. Nous
n’allons pas bouder sur tout cela. Et puis il fallait bien que ces dix hommes
aient une certaine dose de confiance pour faire tout cela, et cette confiance a
contribué à leur guérison, et à leur restauration à tous. Dix hommes reprennent
une vie sociale normale. C’est beaucoup, c’est même extraordinaire.
Nous ne savons plus rien de neuf de ces dix hommes.
Ces neuf-là étaient des Juifs. Ils ne sont pas revenus vers Jésus, et cela leur
aura évité une prosternation idolâtre : un Juif ne se prosterne que devant
Dieu, et jamais devant un homme. Ces neuf-là, nous pouvons parfaitement les
imaginer en train de rendre gloire à Dieu, ailleurs. Et nous ne savons rien de
leur salut.
Maintenant, un Samaritain doit-il se prosterner
devant un Juif ? Et un guérisseur doit-il guérir ? Et un malade
doit-il être, du fait de sa maladie, distingué en quelque manière ? Ces
dix hommes sont, au début du récit, parfaitement insignifiants ; lépreux
ils sont, et personne ne leur doit rien. Pourtant, Jésus, qui ne leur doit
rien, distingue ces insignifiants personnages en les guérissant, tant Juifs que
Samaritain. Un Samaritain lépreux, c’est deux fois insignifiant pour un Juif.
Un Samaritain guéri, ça demeure un Samaritain. Les Juifs détestaient les
Samaritains, qui le leur rendaient bien. Alors qu’est-ce que ce Samaritain
guéri fait prosterné devant son guérisseur qui est un Juif ? Il est de
nouveau deux fois insignifiant, mais non pas maintenant du fait des hasards de
la vie, mais du fait exprès de sa volonté personnelle.
On peut ici parler de foi ; parce que cet
homme dont la vie avait fait un paria, s’est trouvé soudain gratuitement
distingué, libéré des griffes du sort, et n’en a manifestement pas conclu qu’il
était plus qu’il n’était. Samaritain insignifiant il était devant celui qui
pouvait le guérir, Samaritain insignifiant il reste devant celui qui l’a guéri,
tout comme l’on pourrait dire, en se sachant indûment gracié, pécheur je suis,
pécheur je reste, étranger j’étais, étranger je reste et la grâce qui m’est
faite me demeure comme étrangère, elle ne m’était pas due, elle m’a pourtant
été faite. Croire, c’est affirmer que la grâce qui m’est faite ne fait pas de
moi un être supérieur, mais seulement un serviteur.
Et pouvons ajouter à cela que, sans doute, un être
humain peut en appeler à Jésus lorsqu’il a besoin de ses services, ce qui
relève de la foi, mais qu’il peut tout autant en appeler à Jésus aussi
lorsqu’il a obtenus ce qu’il demandé. Bien souvent alors, l’être humain ne le
fait pas ; bien souvent il oublie, bien souvent même il murmure après
avoir été libéré… Le Samaritain revient vers Jésus alors qu’il est encore dans
la joie de sa guérison. Son retour est ainsi parfaitement gratuit, signe vraisemblable
de sa foi.
Mais prenons bien garde. Tout ce que nous venons
de dire, ce ne sont que des interprétations que nous proposons. Et nous ne
pouvons toujours pas dire que son retour, sa louange, sa prosternation et ses
remerciements sont les causes du salut du Samaritain. Nous pouvons tout au plus
affirmer que si cet homme est sauvé de quelque chose, c’est de l’ingratitude…
ce qui n’est déjà pas si mal, mais ne peut pas constituer un objectif que
poursuit Jésus qui, lui, agit en esclave inutile, c'est-à-dire totalement
gratuitement.
Que dirons-nous donc ? Il nous reste à oser
dire que c’est totalement gratuitement que Jésus dit à cet homme « Ta foi
t’a sauvé. » Pourquoi le lui dit-il ? Et nous allons dire que Jésus
le lui dit parce que Jésus a choisi de le lui dire. Le salut est sans pourquoi.
L’affirmation de Jésus apparaît sans raison. Cette affirmation ne peut rester
tout à fait gratuite, c'est-à-dire à la hauteur de l’enjeu du salut, qu’en
demeurant presque tout à fait opaque.
Elle est certes la conclusion de toute cette
petite histoire ; elle en est une conclusion libre. Elle est adressée à
cet homme par son sauveur pour que cet homme soit parfaitement libre vis-à-vis
de son sauveur. Elle lui est adressée de manière conclusive pour qu’il soit libre
vis-à-vis de son propre parcours. Car un salut qui vous aliénerait à votre
sauveur ne serait pas un salut, tout comme un salut que vous devriez à vos
propres mérites ne vous sauverait en rien.
Relève-toi, va, ta foi t’a sauvé, dit Jésus. L’expérience du salut est
celle de la plus grande liberté, de la plus infinie gratuité. Et lorsqu’on
rencontre le Christ vivant, lorsqu'on rencontre un témoin véritable du Christ vivant, l’expérience du salut et
l’expérience de la vie correspondent exactement. Que cette grâce nous soit
faite. Amen