samedi 28 mai 2022

La gloire d'Etienne (Actes 7,55-60) ou l'unité de l'homme et de Dieu

Actes 7

55 Mais lui, rempli d'Esprit Saint, fixait le ciel: il vit la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu.

 56 «Voici, dit-il, que je contemple les cieux ouverts et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu.»

 57 Ils poussèrent alors de grands cris, en se bouchant les oreilles. Puis, tous ensemble, ils se jetèrent sur lui, 58 le traînèrent hors de la ville et se mirent à le lapider. Les témoins avaient posé leurs vêtements aux pieds d'un jeune homme appelé Saul.

 59 Tandis qu'ils le lapidaient, Étienne prononça cette invocation: «Seigneur Jésus, reçois mon esprit.»

 60 Puis il fléchit les genoux et lança un grand cri: «Seigneur, ne leur compte pas ce péché.» Et sur ces mots il mourut. 


Prédication : 

            Etienne n’était pas destiné au ministère de la Parole, il faisait partie de ces hommes qu’on avait choisis pour veiller au partage équitable entre tous des biens dont disposait la communauté. C’est aux Apôtres qu’était réservé l’enseignement… La toute jeune Eglise de Jérusalem avait ainsi déjà ses règlements. Mais les règlements sont faits pour être transgressés, et transgressés ils furent, notamment par Etienne. Car l’un des fils directeurs des Actes des Apôtres, c’est que toute règle édictée par telle autorité autorisée, même celle des Apôtres…, telle règle sera toujours transgressée par l’Esprit Saint. Or, Etienne était « un homme plein de foi et d’Esprit Saint », « plein de grâce et de puissance, (qui) opérait des prodiges et des signes remarquables parmi le peuple. » Nul ne l’avait appelé à cela. Nul ne l’avait non plus envoyé vers tel ou tel groupe, les Affranchis, les Cyrénéens, les Alexandrins – chaque groupe avait semble-t-il sa propre synagogue. Mais une rencontre eut lieu. Certains estimèrent qu’il blasphémait, et, par la force, ils le conduisirent au Sanhédrin, autorité autorisée à trancher en matière d’enseignement religieux à l’intérieur du Temple.

Ils produisirent de faux témoins… et au bout du parcours, il y eut un homme mort par lapidation, Etienne. Etienne est le premier martyr de l’histoire chrétienne.

            Mais pourquoi Etienne est-il mort ? Il est mort parce qu’on lui a jeté des pierres jusqu’à ce qu’il en meure. Et on lui a jeté des pierres parce qu’il avait « exaspéré » les autorités… plus fortement, ceux qui l’écoutaient eurent un accès de haine. La haine est un sentiment violent, sentiment qui exige la suppression de ce qui le suscite. Mais qu’est-ce qui avait suscité la haine de ces gens ? Le discours d’Etienne, qui est le plus long des discours des Actes des Apôtres ? Peut-être, peut-être pas, car les prédicateurs spontanés devaient être assez nombreux dans le Temple et sur les parvis du Temple (le syndrome de Jérusalem existait déjà), et les juges du Sanhédrin – grand tribunal – étaient habitués à entendre reproches et insultes. Ça n’est pas le discours d’Etienne donc, mais la vision d’Etienne.

            En fait, on ne sait pas vraiment ce qu’Etienne voit, mais il dit « Voici que je vois les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. » Ce qui arrive à Etienne, il le décrit comme une vision, mais c’est infiniment plus qu’une vision. Le tribunal religieux ne s’y trompe pas, qui ne crie même pas au blasphème mais se bouche carrément les oreilles avant de pousser des cris inarticulés. L’utilisation par Etienne du langage de la vision, dans un pays où Dieu n’est pas représentable, est le signe disons d’un événement considérable : Etienne, plus la gloire de Dieu, avec Jésus à sa droite, cela fait éclater les conventions en vigueur. En Etienne, et en Dieu, il se passe ceci : l’homme et Dieu sont un. Chose que le Tribunal ne pouvait déjà pas accepter si cela arrivait à l’un des siens ; et c’est pour cette raison qu’à la même période qu’Etienne, Rabbi Eliezer ben Hyrcanos – un personnage d’une importance considérable – fut excommunié et tous ses jugements annulés ; comment le tribunal pourrait-il accepter cela d’Etienne, un inconnu ?

            Alors on se saisit d’Etienne, on le traina hors de la ville, et il fut lapidé. Pour cette horrible scène, le rédacteur des Actes a repris le vocabulaire de la crucifixion de Jésus, pour bien signifier à quel point l’homme, le Christ et Dieu sont en ces matières absolument confondus. Et s’il s’agissait d’employer le langage de l’évangile de Jean, nous pourrions énoncer qu’ils sont un. Qu’en est-il de cette unité ? (6 courtes remarques)

 

            1. D’abord, cette unité embrasse toute l’histoire, d’une manière d’ailleurs originale (nous relirons, une autre fois, l’ensemble du discours d’Etienne).

            2. Ensuite, cette unité ne laisse personne de côté. Les gens auxquels Etienne s’adresse ont des origines extrêmement diversifiés. L’ambition – ou plutôt la proposition – de cette unité est bien une unification – mais on sent bien que c’est une unification qui n’est pas une uniformisation (si l’on voulait d’ailleurs adresser une réserve aux Apôtres s’agissant de leur conduite des affaires de la communauté, ça serait qu’ils visent un peu – un peu trop ? – à l’uniformisation…)

            3. Cette unité donc, est inclusive – le mot est trop à la mode – mais elle est aussi critique. Cette unité est critique, c'est-à-dire, pour tous ceux dont elle s’approche elle fait office « d’opérateur de vérité ». La vérité n’est pas toujours la bienvenue et son apparition dans le paysage est assez souvent le signe de prochaines turbulences, voire de violence. Etienne en fera les frais…

            4. L’unité de Dieu et de l’homme se donne entièrement à l’homme, elle se donne entièrement à celui qui parle, et elle se donne entièrement aussi à ceux qu’elle approche et qui entendent. Pour elle-même, il n’y a pas de défense, pas d’abri. Elle s’abandonne, pour le meilleur, et quoi qu’il arrive. Elle n’oblige au fond absolument personne, et surtout pas ceux auxquels elle s’adresse pourtant au premier chef.

            5. Et s’il advient qu’on la traine hors de la ville et qu’elle doive payer de sa vie le prix de ce qu’elle est, le prix de la grâce et de la vérité, le prix de l’unité de l’homme et de Dieu, on la voit prier Dieu de n’imputer aucun péché à ses bourreaux. Cette prière ne s’adresse pas à un Dieu qui serait lointain et puissant et qui viendrait venger ses serviteurs martyrs – au point où nous en sommes, il ne peut plus en être question – cette prière est un cri d’amour de l’homme pour l’homme.

            6. Et finalement, cette lecture, dans les Actes des Apôtres, vient nous rappeler quelques lectures, dans l’évangile de Jean, évangile dans lequel il est question du Verbe qui s’est fait chair, de l’unité du Père et du Fils, de l’unité des disciples et de leur maître, de l’engagement absolu de l’un envers les autres et des autres les uns envers les autres. Et le mot qui revient, et revient, et le verbe qui va avec ce mot, c’est amour, et c’est aimer. L’évangile de Jean n’a pas le monopole des propos sur l’amour (ni Paul aux Corinthiens).

 

            A tous ces textes nous pouvons adresser quelques questions. L’amour dont ils parlent peut-il l’emporter ? L’unité de l’homme et de Dieu peut-elle être défaite ? Et les violents, ceux qui font de Dieu une hydre toujours en quête de chair vivante à dévorer, vont-ils fatalement l’emporter ?

            Ceux qui nous ont suggéré nos lectures de ce jour se sont arrêtés à « Et sur ces mots, (Etienne) mourut » Fin de l’aventure d’Etienne ; l’unité de l’homme et de Dieu semble avoir été défaite. A proximité de la scène du meurtre, on nous signale la présence d’un jeune homme appelé Saul. « Saul était de ceux qui approuvaient ce meurtre » On nous raconte aussi qu’une violente persécution éclata contre l’Eglise. Était-ce la fin ? Oui, fin de certains qui, comme Etienne, payeraient de leur vie la profondeur de leur engagement. Fin aussi pour plusieurs autres, car hier comme aujourd’hui les persécuteurs massacrent, et il n’y a jamais de distinction lorsqu’on massacre.  Et pourtant, s’agissant de ce jeune Saul, vous savez qu’après une expérience personnelle bouleversante il devint Paul, voyageur infatigable et apôtre des Païens : l’unité de l’homme et de Dieu se fit un jour en lui et ne se défit plus jamais. Quant à cette Eglise persécutée, ses membres survivants se dispersèrent, et allèrent de lieu en lieu, annonçant la bonne nouvelle de la Parole. Et ça n’était que le début de l’aventure.

                       

            Que conclurons-nous ? Cette unité de l’homme et de Dieu, dont nous parlons depuis tout à l’heure, peut toujours se faire en telle personne. Elle le peut toujours, aujourd’hui comme hier et, c’est notre acte de foi aujourd’hui, ne cessera jamais de toujours se faire à nouveau. Joie pour nous tous. Amen


samedi 21 mai 2022

La gloire de Pierre (Actes des Apôtres 15,1-29 - une très longue lecture)

Actes 15

1 Certaines gens descendirent alors de Judée, qui enseignaient aux frères: «Si vous n’êtes pas circoncis selon la loi de Moïse, disaient-ils, vous ne pouvez pas être sauvés.»

 2 Un conflit en résulta, et des discussions assez graves opposèrent Paul et Barnabas à ces gens. On décida que Paul, Barnabas et quelques autres monteraient à Jérusalem trouver les apôtres et les anciens à propos de ce différend.

 3 L'Église d'Antioche pourvut à leur voyage. Passant par la Phénicie et la Samarie, ils y racontaient la conversion des nations païennes et procuraient ainsi une grande joie à tous les frères.

 4 Arrivés à Jérusalem, ils furent accueillis par l'Église, les apôtres et les anciens, et ils les mirent au courant de tout ce que Dieu avait réalisé avec eux.

 5 Des fidèles issus du pharisaïsme intervinrent alors pour soutenir qu'il fallait circoncire les païens et leur prescrire d'observer la loi de Moïse.

 6 Les apôtres et les anciens se réunirent pour examiner cette affaire.

 7 Comme la discussion était devenue vive, Pierre intervint pour déclarer: «Vous le savez, frères, c'est par un choix de Dieu que, dès les premiers jours et chez vous, les nations païennes ont entendu de ma bouche la parole de l'Évangile et sont devenues croyantes.

 8 Dieu, qui connaît les cœurs, leur a rendu témoignage, quand il leur a donné, comme à nous, l'Esprit Saint.

 9 Sans faire la moindre différence entre elles et nous, c'est par la foi qu'il a purifié leurs cœurs.

 10 Dès lors, pourquoi provoquer Dieu en imposant à la nuque des disciples un joug que ni nos pères ni nous-mêmes n'avons été capables de porter?

 11 Encore une fois, c'est par la grâce du Seigneur Jésus, nous le croyons, que nous avons été sauvés, exactement comme eux!»

 12 Il y eut alors un silence dans toute l'assemblée, puis l'on écouta Barnabas et Paul raconter tous les signes et les prodiges que Dieu, par leur intermédiaire, avait accomplis chez les païens.

 13 Quand ils eurent achevé, Jacques à son tour prit la parole: «Frères, écoutez-moi.

 14 Syméon vient de nous rappeler comment Dieu, dès le début, a pris soin de choisir parmi les nations païennes un peuple à son nom.

 15 Cet événement s'accorde d'ailleurs avec les paroles des prophètes puisqu'il est écrit:

 16 Après cela, je viendrai reconstruire la hutte écroulée de David. Les ruines qui en restent, je les reconstruirai, et je la remettrai debout.

 17 Dès lors le reste des hommes cherchera le Seigneur, avec toutes les nations qui portent mon nom. Voilà ce que dit le Seigneur, il réalise ainsi ses projets

 18 connus depuis toujours.

 19 «Je suis donc d'avis de ne pas accumuler les obstacles devant ceux des païens qui se tournent vers Dieu.

 20 Écrivons-leur simplement de s'abstenir des souillures de l'idolâtrie, de l'immoralité, de la viande étouffée et du sang.

 21 Depuis des générations, en effet, Moïse dispose de prédicateurs dans chaque ville, puisqu'on le lit tous les sabbats dans les synagogues.»

 22 D'accord avec toute l'Église, les apôtres et les anciens décidèrent alors de choisir dans leurs rangs des délégués qu'ils enverraient à Antioche avec Paul et Barnabas. Ce furent Judas, appelé Barsabbas, et Silas, des personnages en vue parmi les frères.

 23 Cette lettre leur fut confiée: «Les apôtres, les anciens et les frères saluent les frères d'origine païenne qui se trouvent à Antioche, en Syrie et en Cilicie.

 24 Nous avons appris que certains des nôtres étaient allés vous troubler et bouleverser vos esprits par leurs propos; ils n'en étaient pas chargés.

 25 Nous avons décidé unanimement de choisir des délégués que nous vous enverrions avec nos chers Barnabas et Paul,

 26 des hommes qui ont livré leur vie pour le nom de notre Seigneur Jésus Christ.

 27 Nous vous envoyons donc Judas et Silas pour vous communiquer de vive voix les mêmes directives.

 28 L'Esprit Saint et nous-mêmes, nous avons en effet décidé de ne vous imposer aucune autre charge que ces exigences inévitables:

 29 vous abstenir des viandes de sacrifices païens, du sang, des animaux étouffés et de l'immoralité. Si vous évitez tout cela avec soin, vous aurez bien agi. Adieu!»

Prédication

            Si vous n’êtes pas circoncis selon la loi de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés.

            Le lecteur va bien entendu se demander de quoi il s’agit d’être sauvé. Et il ne trouvera guère de réponse (ni ici, ni ailleurs dans les Actes), ce qui peut signifier que la réponse allait de soi, non seulement pour ceux qui enseignaient la nécessité de la circoncision, mais aussi pour ceux qui enseignaient qu’elle n’était pas nécessaire. Sauvé, mais de quoi ? Sauvé de tout péril dans cette vie ? Non. Les humains savent depuis toujours que les rites même les plus éprouvés ne confèrent aucune protection  sérieuse contre toutes sortes de malheurs. Sauvé, pour bénéficier du sort le meilleur dans l’au-delà ? Ce sont des choses qu’on entend dire, mais elles sont, de par leur nature, assez difficilement vérifiables.

            Mais il devait y avoir quelque chose d’évident, voire capital, pour les uns comme pour les autres, peut-être la même chose pour les uns comme pour les autres, qui fit que la discussion s’envenima.

            Mais quoi ?

 

            Tout au début, c’est une affaire religieuse. C’est l’ancienne religion des enfants d’Israël qui, suite à la prédication de Jésus de Nazareth, était sortie du cadre des synagogues et du Temple, et s’était grande ouverte aux païens. Cette ouverture à vrai dire avait commencé, pour ce qu’on sait, commencé depuis assez longtemps et l’on pouvait rencontrer des convertis au judaïsme, c'est-à-dire des païens convertis observants. Étaient-ils, ces gens-là, refoulés sur le seuil des lieux de culte ? Et bien, s’agissant de jeunes groupes rassemblés à Antioche au nom de Jésus Christ et ayant vécu l’expérience de Pentecôte, il semble que la question de la circoncision n’ait pas été porteuse d’un enjeu particulier. Jusqu’au moment où…

            Pourquoi un conflit éclate-t-il, et pourquoi des discussions assez graves ont-elles lieu ? Pourquoi Paul et Barnabas d’un côté, et les prédicateurs de la circoncision de l’autre côté, ne parvenaient-ils pas à s’entendre ? Question d’influence et de domination sur les personnes… ça n’est pas glorieux, mais c’est le plus facile à imaginer. Soyons un peu naïfs en espérant que la raison peut tout régler. Et supposons qu’il y a, tant chez Paul que chez les circonciseurs, une sorte de fond impensé.

            Au fond, Paul et Barnabas sont des enthousiastes. Ils voient bien que Dieu s’en est allé se trouver des enfants parmi les païens, ils voient bien que Dieu a grandement béni les nouvelles communautés qui ne cessent de croitre et de se répandre, ils voient bien qu’à ces païens Dieu donne le Saint Esprit tout comme aux Fils d’Israël. Partout où ils passent, Paul et Barnabas rapportent ces faits, et le témoignage qu’ils donnent ne fait que contribuer à la croissance de l’ensemble. Et tout se passe très bien, à cause de l’enthousiasme, bien sûr, mais aussi parce que ces communautés sont homogènes – elles sont sans doute des groupes très bigarrés, mais l’enthousiasme les homogénéise. Dans cet enthousiasme, ou oublie, on ne pense pas, que ce Dieu a un langage plus élaboré que les balbutiement des gens émus, que ce Dieu a une histoire et que cette histoire va, fatalement, à un moment où à un autre, venir faire valoir ses droits. Là sont les limites de l’enthousiasme… et là aussi est le fond impensé de Paul et de Barnabas.

 

            Et pendant ce temps, les tenants de la circoncision, et, autant le dire tout de suite, tenants de toute la Loi de Moïse, dont manifestement certains se sont donnés à Christ et ont reçu l’Esprit Saint, pensent que cette foi nouvelle est certes un nouveau rameau de l’arbre généalogique des enfants d’Israël, mais qu’en tant que ce nouveau rameau de cet arbre-là, il ne peut ni ne doit se dispenser d’observer la loi de Moïse, circoncision, bien entendu, et tout le reste des commandements, écrits et oraux. Observance sans dérogation possible, il en va du salut et, pour une fois, nous allons dire ce qu’il en est de ce salut : c’est un salut qui est lié à une notion d’ordre, l’ordre divin de la création tel que révélé dans la Loi, la Loi enseignant aussi comment habiter cette création, c'est-à-dire le mode d’emploi de la vie. Et l’on comprend assez aisément l’importance de cela : il en va de la vie, et il en va de Dieu (c’est la même chose), et il en va de l’humanité de chaque homme. Mais – et c’est là le fond impensé des tenants de la circoncision : si Dieu a pris la liberté de se révéler aux païens, et s’il lui a plu de leur donner son Esprit Saint, esprit par nature remuant et créatif, est-ce pour qu’ils (les païens) en viennent à la froide et méthodique pureté de l’observance de toute la Loi ?

 

            En tout cas, deux grandes tendances se font face, et s’affrontent, à Antioche, et à Jérusalem. La rupture est-elle inévitable ? La discussion, en tout cas, est une discussion au sommet : Paul, Pierre, Jacques, plus des « fidèles issus du pharisaïsme », soutenant qu’il faut circoncire les païens et leur prescrire d’observer la loi de Moïse. Pensons ici que tous sont bien juifs et que même si, comme Paul, ils s’octroient avec la loi des libertés considérables, ils connaissent parfaitement l’origine de cette loi et l’histoire de l’observance de cette loi. Ils savent sans doute que la rigidité des opinions en présence peut conduire au schisme.

            C’est Pierre qui va, ici, être particulièrement inspiré, et qui va faire une œuvre réellement pastorale. Il écoute, certainement, tout ce qui se dit, mais il a surtout une intuition d’une profondeur et d’une honnêteté considérables. Au lieu d’utiliser son intelligence pour récuser la tradition des autres, c’est sa propre tradition qu’il interroge. Écoutez bien : « 10 pourquoi tenter Dieu en imposant à la nuque des disciples un joug que ni nos pères ni nous-mêmes n'avons été capables de porter ? ». Pierre est grand lorsqu’il affirme cela. Il interroge sa tradition, on ne peut plus profondément. Il le fait sans fanfaronnade, il le fait avec l’honnêteté du pécheur vraiment repentant, en mettant au tout premier plan la grâce du Seigneur Jésus, unique grâce qui sauve, les Juifs comme les païens. Grâce qui sauve, elle sauve de ce qu’on appelle tenter Dieu, c'est-à-dire faire peser sur les épaules d’autrui, et au nom de Dieu, toutes sortes obligations, religieuses, alimentaires, en prétendant que le salut est acquis à ceux qui les observeront… Non, dit Pierre en substance, on peut décider d’observer ceci ou cela, on peut même se l’imposer, mais on ne devra jamais l’imposer à qui que ce soit, et surtout pas dans la perspective du salut.

            De ce moment où Pierre est grand, retenons que chacun peut – et peut-être doit – examiner ses propres orientations religieuses à l’aune de la liberté conquise en Dieu par Jésus Christ.

 

            Et qu’advint-il ensuite ? Ces gens qui avaient prêché à Antioche aux chrétiens d’origine païenne qu’ils devaient être circoncis, que devinrent-ils ? Et ceux qui, à Jérusalem, étaient d’origine pharisienne, que devinrent-ils ? Nous ne le savons pas. Nous savons que tous ces groupes aux complexes racines hébraïques étaient prompts à s’enflammer, et prompts à se diviser. Mais nous ne savons pas si, à Jérusalem, et à Antioche, des gens qui observaient la loi de Moïse et d’autres qui ne l’observaient pas auront su vivre en sœurs et frères dans une unique et essentielle adoration de Jésus Christ, et dans une unique action de grâce pour la grâce faite par Dieu en Jésus Christ. Nous ne le savons pas. Le livre des Actes des Apôtres ne nous dit pas tout.

            Mais il nous dit, au moins, comment examiner notre propre tradition pour que nous puissions vivre et témoigner de ce que nous avons reçu, par grâce. Amen