samedi 11 octobre 2025

Ta foi t'a sauvé (Luc 17,11-19)

Luc 17

11 Or, comme Jésus faisait route vers Jérusalem, il passa à travers la Samarie et la Galilée.

12 À son entrée dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s'arrêtèrent à distance

13 et élevèrent la voix pour lui dire: «Jésus, maître, aie pitié de nous.»

14 Les voyant, Jésus leur dit: «Allez vous montrer aux prêtres.» Or, pendant qu'ils y allaient, ils furent purifiés.

15 L'un d'entre eux, voyant qu'il était guéri, revint en rendant gloire à Dieu à pleine voix.

16 Il se jeta le visage contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce; or c'était un Samaritain.

17 Alors Jésus dit: «Est-ce que tous les dix n'ont pas été purifiés? Et les neuf autres, où sont-ils?

18 Il ne s'est trouvé parmi eux personne pour revenir rendre gloire à Dieu: il n'y a que cet étranger!»

19 Et il lui dit: «Relève-toi, va. Ta foi t'a sauvé.»


Prédication

A la lecture de ce fragment, l’étonnement peut vous prendre, un étonnement à trois niveaux, qui peuvent vous servir de fil conducteur :

premier niveau, les mouvements, les jeux d’éloignement et de proximité ;

second niveau, les jeux de mots, entre purification, guérison, et salut ;

troisième niveau, l’arithmétique, parce qu’un sur dix, vraiment, ça n’est pas grand chose...

Ces trois niveaux vont servir de plan à cette prédication :

Si loin, si proche ! De l’apparence au salut. Détresse et  promesses de la prédication.

1.      Si loin, si proche !

            C’est tout d’abord une remarque historique - c’est à dire une remarque de pur bon sens - : en ce temps-là, tout ce qui affligé d’une quelconque affection cutanée est réputé impur et contagieux, mis au ban, c’est à dire tenu à distance, tenu donc de se tenir à distance...

            ... et ces dix lépreux - qui n’ont peut-être pas plus la lèpre que vous et moi, mais seulement une acné persistante ou un psoriasis qui traîne - observent pieusement cet interdit de contact, de proximité...

            bref, ils consentent à ce qui les condamne et, il ne leur reste qu’à brailler de loin, c’est tout ce qu’ils peuvent faire...

 

            De loin, en face d’eux, un homme en marche, un homme qui, d’une manière ici surprenante, leur commande, dans l’état où ils sont, de s’approcher de ceux qui les condamnent...

            ... car ça n’est pas tant la Loi de Moïse que l’usage qui est mis en question, l’usage qui veut précisément qu’on consente passivement à ce qui vous condamne : en l’état, commencer lépreux et s’approcher des prêtres, c’est être d’emblée actif au comble de l’impossible...

            ... et c’est de là, du commencement fou de ce rapprochement, que vient la purification

 

            Il y a bien un miracle dans ce texte, ce miracle est écrit en creux : Jésus leur dit « Allez vous montrer aux prêtres »... PUIS, pendant qu’ils y allaient, ils furent purifiés

            Entre ces deux instants, le miracle a lieu, parce que cette injonction ridicule de s’approcher de la condamnation est clairement reçue...

2.      de l’apparence au salut

            Cependant, ça n’est que le début de ce que ce simple extrait peut nous apporter.

            Si cette seconde partie est intitulée « de l’apparence au salut », c’est pour s’appuyer - en premier lieu - sur le fait que ces maladies de peau qui vous condamnaient à être un paria sont, avant tout, des pathologies de l’apparence, ou, si l’on veut, des délits de sale gueule...

            Mieux valait, déjà à l’époque, être jeune, blanc, riche et beau, que vieux, coloré, pauvre et moche...

            Pathologie de l’apparence reprise dans le vocabulaire de la religion : le PUR et l’IMPUR, mais ce pourraient tout aussi bien être d’autres mots, d’autres épithètes, le Protestant, le catholique, le droite, le gauche, le sacré, et le profane

            Toutes sortes de mots qui tuent, qui tuent d’autant plus efficacement qu’ils n’ont pas d’autre contenu que le consentement irréfléchi des uns et des autres...

            IMPURS donc ils sont, d’autant plus qu’ils sont persuadés de l’être, et d’autant plus qu’ils le sont sous le regard des autres...

            OR, pendant qu’ils y allaient - et non pas parce que les prêtres les avaient vus - ils furent PURIFIES...

             Et là tout se complique, parce que, voyant qu’il était GUERI, l’un des dix revient !

            N’est-il pas allé se montrer aux prêtres ? - sans doute que non, puisqu’il n’était qu’un Samaritain...

            en tout cas, le texte que nous lisons marque fortement la différence entre PURIFIER et GUERIR...

            et, ce faisant, il marque fortement la différence entre l’apparence, et la réalité : l’apparence, c’est ce qu’on appelle la PURETE, c’est le convenable, le convenu, c’est le religieusement correct, le socialement correct, ce qui, sous le regard de l’autre, vous assure un petit minimum de tranquillité...

            et si les apparences nomment PURETE la couleur de la peau, la réalité banale, ordinaire, c’est la GUERISON (le contraire de PURETE peut être GUERISON)

             Celui-là qui revient vers Jésus a au moins fait la différence entre les apparences et la réalité, et il agit contre des apparences dont lui n’a plus nul besoin (à supposer qu’il en aie jamais eu besoin) ;

            Or, à celui-là qui revient vers Jésus et proclame les merveilles de Dieu, il est dit « Ta foi t’a sauvé ! »

 

            Qu’est-ce donc alors que la FOI de cet homme-là ? Qu’est-ce donc que le SALUT ?

 

            En tout cas, il semble bien qu’on soit en face d’un salut par la foi, et par la foi seulement. Ça devrait faire plaisir aux protestants... sauf que ça ne répond pas à la question de savoir ce que c’est que la foi de cet homme-là.

 

            La foi, ici, va avec le salut, pour cet homme qui, deux fois, renonce aux apparences, à la passivité d’un consentement : la première fois, en acceptant d’aller s’approcher de ceux qui le condamnent, la seconde fois, en acceptant d’y renoncer, puisque, se voyant guéri, il fait d’emblée retour, renonçant à un retour à l’ordinaire...

            le salut de cet homme-là, c’est ici un double renoncement : à la condamnation, et à la réhabilitation !

            Et la foi, dans le retour qu’il fait vers Jésus, c’est cette puissance qui lui fait préférer la reconnaissance de celui qui libère à celle de ceux qui asservissent !

 

            Et prenons bien garde ne pas considérer - à aucun moment - que la foi se réduit aux manifestations bruyantes et visibles que produit légitimement cet homme-là !

            Nous serions alors ramenés à ce qui ouvre le texte : du convenable, du convenu, que nous appellerions, au besoin, baptême, sacrement, liturgie, droit canon, ou protestantisme... nous serions ramenés à ce qui nous condamne bien plus qu’à ce qui nous sauve, à la dictature des apparences bien plus qu’au chemin de la foi...

 

3.      Détresse et promesse de la prédication

            Pourtant, il faut le constater, l’arithmétique est cruelle : UN sur DIX revient vers Jésus, et encore, c’est un Samaritain, un de ceux que les prêtres de Judée, précisément, considèrent comme impurs, qu’ils soient lépreux ou pas, impurs parce qu’ils sont Samaritains...

            Neuf fois sur dix donc, dans le meilleur des cas, lorsque vous prêchez, vous n’aurez pas de retour...

            ... et c’est bien le meilleur des cas : un sur dix, c’est le score du maître, le score de Jésus...

            Détresse, donc, on cause vraiment pour rien... pas de sous qui rentrent dans les caisses, pas de compliment qui revienne, et pas le temple plein chaque fois qu’on sait que vous allez y prêcher... Détresse !

             Promesse ! Ceci dit, si vous exigez un retour sur votre prédication de l’évangile, ça n’est plus l’évangile que vous prêchez, mais les apparences... celles précisément dont nous venons de parler...

            ... et le bon sens lui-même vous l’enseigne : si c’est bien l’évangile, le double dépassement des apparences que vous proclamez, alors vous ne pouvez rien exiger vous-même de ceux à qui vous l’annoncez.

 

            Alors, une fois de temps en temps, une fois sur dix - et beaucoup moins - quelqu’un viendra vers vous, et vous lui direz : « Va, ta foi t’a sauvé. »

 

            Et s’agissant des neuf autres ?

            Vous ne leur direz rien, puisqu’ils ne seront pas devant vous ; vous ne les condamnerez pas non plus, puisque vous ne saurez pas ce qu’ils ont fait de leur purification ; vous saurez simplement que pour ces neufs-là, mieux valait être quelqu’un comme il faut que d’être un paria...

            Alors, même s’ils se sont arrêtés à la première étape sur le chemin de la liberté, même s’ils sont vite revenus à une captivité des apparences... vous ne leur avez pas nui...

…et vous louerez Dieu de ce que vous ignorez ; que se passe-t-il maintenant pour ces 9 là ? vous ne le savez pas ; la suite ne vous appartient pas !

 

Peut-être bien même que c’est l’un de ces neuf autres qui racontera l’histoire de cet homme  - Jésus - qui, contre toute apparences, a ordonné un jour à dix lépreux d’aller se montrer aux prêtres, et, pendant qu’ils y allaient, ils furent guéris...Amen