Jean 20
1 Le premier jour de la
semaine, à l'aube, alors qu'il faisait encore sombre, Marie de Magdala se rend
au tombeau et voit que la pierre a été enlevée du tombeau.
2 Elle court, rejoint Simon-Pierre
et l'autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit: «On a enlevé du
tombeau le Seigneur, et nous ne savons pas où on l'a mis.»
3 Alors Pierre sortit, ainsi que
l'autre disciple, et ils allèrent au tombeau.
4 Ils couraient tous les deux
ensemble, mais l'autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le
premier au tombeau.
5 Il se penche et voit les
bandelettes qui étaient posées là. Toutefois il n'entra pas.
6 Arrive, à son tour, Simon-Pierre
qui le suivait; il entre dans le tombeau et considère les bandelettes posées là
7 et le linge qui avait recouvert
la tête; celui-ci n'avait pas été déposé avec les bandelettes, mais il était
roulé à part, dans un autre endroit.
8 C'est alors que l'autre disciple,
celui qui était arrivé le premier, entra à son tour dans le tombeau; il vit et
il crut.
9 En effet, ils n'avaient pas
encore compris l'Écriture selon laquelle Jésus devait se relever d'entre les
morts.
Prédication :
Et la lecture qui nous est
proposée se finit là, « Ils n’avaient pas encore compris l’Écriture selon
laquelle Jésus devait se relever d’entre les morts », lecture qui laisse
de côté diverses apparitions célèbres, une affaire de jardinier putatif et
finalement Jésus est reconnu, et finalement surtout la résurrection est
convenablement attestée et peut être reconnue. Avec de telles attestation, on
ne peut qu’adhérer, parce que ces apparitions, ces attestations d’apparitions
emportent la raison – ou plutôt le raisonnement. Et plus le texte se poursuit,
plus les apparitions se multiplient et plus la résurrection s’inscrit dans
l’histoire du temps long des communautés chrétiennes, communautés de ceux qui
affirment qu’il est ressuscité d’entre les morts, lui entre tous, l’unique
absolu, un dans l’histoire des communautés humaines, qui revient de la mort. Et
savez-vous qu’un des Pères de l’Eglise s’était appuyé, pour établir la
résurrection, sur le mythe – ou plutôt la légende – du Phénix, qu’il situait au
fin fond du monde connu, sud de l’Égypte à l’époque, pour expliquer que Jésus
revive. Réinscrire Jésus donc dans le temps long de la narration historique,
tel est le sens possible de cette noria d’apparitions du ressuscité…
Mais le choix du texte
nous oriente vers une autre voie – une voie qui n’est à proprement parler pas
une voie, qui n’est pas un chemin qu’on pourrait suivre même si, de fait,
Pierre et l’autre disciple suivent un chemin. Je ne sais pas si vous avez vu
que l’un et l’autre se font la course, au plus rapide, au plus perspicace, au
plus curieux. C’en est même presque burlesque, et on les verrait bien, tant
l’un que l’autre, sous les traits de grands acteurs burlesques qui au comble de
l’étonnement pour une raison quelconque, regardent face caméra avec leurs yeux
plein d’étonnement. Qui, de Keaton ou de Chaplin est le meilleur à ceux jeu-là ?
En tout cas, cette course
à deux, avec top départ à Marie de Magdala, opère comme une dislocation du
récit. Le recueillement probablement de rigueur en des circonstances
particulièrement tragiques – il y a un mort, et ce mort c’est Jésus – exigerait
– le recueillement – une marche assez lente et mesurée, une démarche adaptée,
en somme une marche de procession. Nous n’avons pas entendu dire qu’il existe,
dans les rituels que l’humanité a inventés, un seul cortège qui se passe au pas
de course. On est recueilli devant la mort, et l’on prend son temps – le temps
de la mort – et vue temps que dure la mort, les cortèges ne peuvent pas être
rapides. D’ailleurs il y a un certains temps qu’il est nécessaire de pouvoir
passer dans les cimetières afin qu’un certain travail de détachement puisse
avoir lieu, 45 minutes dans notre culture. Vous voyez que, ramené aux
dimensions des cimetières, ça fait une marche très lente. Rien à voir avec la
course entre Pierre et le disciple que Jésus aimait. S’il doit y avoir une
ressemblance entre eux et nos processions d’aujourd’hui, c’est que chacun fait
son petit bout de chemin avant l’autre, l’autre profitant du chemin déjà ouvert
pour avancer à son tour un petit plus. Ce qui relève toutefois encore du récit,
du temps long.
Or, il y a tout autre
chose dans le récit qui nous est proposé. C’est une chose qui est tout autre,
une chose qui n’est pas une chose, dont il est très difficile de parler,
d’ailleurs l’auteur de l’évangile de Jean prend seulement quatre mots pour dire
cette chose qui n’est pas une chose : l’autre disciple enta dans le
tombeau, et il vit et il crut. Quatre
mots, les verbes sans pronoms, la répétition du et, et clac, le récit est
tellement tendu qu’il claque comme un élastique, et entre ces deux morceaux de
texte quelque chose d’inouï est manifesté, la résurrection. La résurrection,
dans le texte, c’est une question de style, et l’auteur de l’évangile a trouvé
un style propre à exprimer…
La résurrection, c’est ce
qui fait que l’être humain passe de il vit à il crut. Avant d’en dire un peu
plus nous avons ici une réponse à la question de norias d’images et
d’apparitions qu’on nous a évités en ce beau dimanche de Pâques. La résurrection,
si nous avons bien compris, c’est le passage de il vit à il crut, et bien si
c’est bien cela qui nous arrive, si c’est bien ce passage-là qui a lieu ce
matin dans nos chants et nos prières, et bien nous n’avons pas besoin
d’apparitions, la résurrection est au-delà de ce qui se voit, elle n’en a pas
besoin. Elle est même au-delà de toute compréhension.
Nous revenons maintenant
au verset 9 de notre texte, qui semble suggérer que cette course entre les deux
disciples et son aboutissement eurent lieu parce « qu’ils n’avaient pas
encore compris l’Écriture selon
laquelle Jésus devait se relever d’entre les morts. »
Voyez-vous, si nous
cherchions dans les Écritures l’Écriture selon laquelle Jésus devait, ou doit,
se relever d’entre les morts, nous devrions cherche longtemps avant de ne rien
trouver. Les textes ne parlent pas de ça comme ça, comme une correspondance
entre le récit du temps long et les faits relatés. Je crois pourtant que le
texte, s’agissant de la résurrection, ne parle presque de ça, c'est-à-dire de
la possibilité que la vie revienne, que la grâce ne soit pas éteinte, que la
résurrection soit cet instant de grâce après lequel croire redevient possible,
croire, c'est-à-dire avancer.
Mais cela ne relève pas du
fait de comprendre l’Écriture, comme
on comprend une explication, ou une démonstration, et alors on peut répéter et
avoir une bonne note à l’examen. Ce texte, là où il évoque la résurrection,
c’est il vit et il cru, ne demande pas à être compris, mais à être en quelque
sorte pénétré, peut-être ingéré, pour devenir une expérience en nous – et je
n’hésite pas à le dire, je crois que celui qui s’investit de tout son cœur dans
la lecture de ce fragment peut faire l’expérience de ce que texte proclame.
Ainsi, la résurrection, en
ce jour, au moment où nous fêtons Pâques, correspond bien sûr à toutes sortes
de manifestations historiques dont les récits s’inscrivent dans le temps longs
de l’histoire qu’on appelle souvent histoire sainte, mais elle est aussi une
promesse toujours actuelle parce qu’inscrite dans de discrets recoins des
langues humaines, ainsi que nous avons lu : et il vit, et il crut.